Cet article a paru dans le journal The Hill Times (en anglais) le mercredi 16 janvier 2019

La légalisation du cannabis à des fins non médicales a constitué un grand défi pour tous les ordres de gouvernement. Au sein des municipalités, la réalité du terrain à la suite de la légalisation a fait ressortir l’importance de moderniser le mode de collaboration des gouvernements pour mieux servir l’ensemble des Canadiens.

La légalisation du cannabis est un engagement national majeur et, comme c’est souvent le cas des engagements nationaux majeurs, cela exige une importante mise en œuvre à l’échelle locale. Quand Ottawa s’engage à stimuler la croissance en investissant dans les infrastructures, ce sont les municipalités qui font avancer les projets. Quand il s’agit d’améliorer la capacité de résilience du Canada en matière de changements climatiques, ce sont les municipalités qui, entre autres choses, construisent des brise-lames, assurent la complexe gestion des bassins versants et prennent des mesures pour atténuer les risques d’incendie. Avec la légalisation du cannabis, ce sont encore les municipalités qui doivent assurer à la population un service adéquat et un environnement sûr.

Notre organisation, la Fédération canadienne des municipalités (FCM), regroupe des gouvernements municipaux représentant 90 % de la population canadienne. Puisque, au quotidien, les gouvernements municipaux sont les plus près des citoyens, ceux-ci se sont naturellement tournés vers leur administration municipale quand il a été question de légaliser le cannabis. Quels seront les effets de la légalisation sur nos quartiers? Les points de vente seront-ils à l’écart des parcs et des écoles? Comment la sécurité routière sera-t-elle assurée?

En fin de compte, la légalisation du cannabis a eu des effets sur un total de 17 fonctions municipales, des règlements de zonage aux permis commerciaux, en passant par la prévention des incendies. Les municipalités ont formé la majeure partie des forces policières canadiennes sur la diffusion et la mise en application des nouvelles règles relatives au cannabis. Elles ont accompli un travail exceptionnel pour être prêtes à temps, même si elles n’ont pas pu participer aux négociations aux côtés des représentants fédéraux et provinciaux. Dès les premiers jours qui ont suivi l’officialisation de la légalisation, plusieurs municipalités ont ajusté leurs règlements à tâtons, étant donné que le cadre réglementaire a été défini en leur absence et sans s’informer de la façon dont elles pourraient assumer les responsabilités majeures associées à l’administration et à la mise en application de la nouvelle réglementation.

En décembre 2017, la FCM a réalisé une estimation préliminaire des coûts annuels associés à la légalisation du cannabis pour les municipalités. Résultat : entre 3 et 4,75 millions de dollars par tranche de 500 000 résidents. Pour l’ensemble des collectivités du pays, cela représente en moyenne entre 210 et 335 millions de dollars par année pour assurer la réussite à long terme de la légalisation. Il faut reconnaître que le gouvernement fédéral a rapidement ajusté le mode de partage des revenus tirés des droits d’accise sur les ventes de cannabis. Initialement de 50 %, la part provinciale a été augmentée à 75 % afin de soutenir particulièrement les nouvelles charges municipales.

Toutefois, après plus d’un an, seulement quelques rares provinces ont annoncé leur intention de transférer des fonds aux municipalités. Certaines provinces ont même déclaré ne pas avoir l’intention de partager ces revenus. Par conséquent, la plupart des municipalités attendent toujours des clarifications sur l’engagement fédéral de 2017 consistant à leur verser 81 millions de dollars sur cinq ans par l’intermédiaire des provinces, somme qui devait servir à renforcer les capacités des corps policiers dans la gestion de divers enjeux comme la conduite avec facultés affaiblies.

La FCM demande au gouvernement fédéral de réaffirmer son leadership en garantissant aux municipalités les outils financiers nécessaires à la pleine mise en œuvre de sa politique nationale sur le cannabis. C’est la raison pour laquelle la FCM a multiplié les efforts pour que la question soit à l’ordre du jour de la rencontre des premiers ministres canadiens qui a eu lieu à Montréal le 7 décembre dernier. Nous entendons aussi rechercher des solutions lorsque les gouvernements réviseront le mode de partage des revenus au printemps – un principe que le premier ministre du Canada s’est engagé à défendre dans les six mois suivant la légalisation.

Entre-temps, l’expérience acquise par les municipalités sur le terrain permet de formuler des observations générales.

Lors de la mise en œuvre de tout projet national d’importance, il faut prévoir des outils financiers locaux dès le début. Les municipalités ont l’expertise et l’énergie requises pour atteindre les grands objectifs nationaux. Cependant, d’ici à ce que la fiscalité canadienne soit modifiée, le financement des municipalités repose sur un impôt foncier régressif qui les prive de la flexibilité financière requise pour assumer de nouvelles responsabilités.

Fondamentalement, les Canadiens s’attendent à ce que tous leurs gouvernements collaborent pour améliorer leur qualité de vie. Leurs dirigeants municipaux devraient siéger à la table de planification des grands projets nationaux comme la légalisation du cannabis. Leur connaissance des réalités municipales ne peut que renforcer toute politique ayant un effet sur la vie des Canadiens. De plus, en mobilisant les municipalités dès le départ, elles sauront mieux comment assurer une mise en œuvre efficace.

Au cours des dernières années, une collaboration fédérale-municipale sans précédent a conduit à la mise en œuvre du Plan des infrastructures et de la Stratégie nationale sur le logement, deux mesures historiques. Le moment est venu de s’appuyer sur cette approche pour moderniser les relations entre les ordres de gouvernement. C’est pourquoi la modernisation est au cœur des récentes recommandations de la FCM en prévision du prochain budget fédéral. La prochaine étape consistera à réclamer un nouveau forum intergouvernemental pour aborder l’ensemble des principaux enjeux nationaux, notamment la mise en œuvre des grandes politiques nationales comme la légalisation du cannabis.

En bref, il est temps de donner plus de place aux Canadiens ordinaires en accordant plus de pouvoirs aux gouvernements qui gèrent les collectivités où ils résident, travaillent et vivent en famille.

Vicky-May Hamm est mairesse de la Ville de Magog (Québec) et présidente de la Fédération canadienne des municipalités (FCM). La FCM est la voix nationale des gouvernements municipaux. Elle compte près de 2 000 villes et collectivités membres de toute taille représentant 90 % de la population canadienne.

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