Introduction

Le projet d’informatisation des registres fonciers en Haïti (PIRFH) mis en œuvre conjointement par la Fédération canadienne des municipalités (FCM) et la Ville de Montréal s’inscrit dans le cadre de la priorité nationale qu’est l’amélioration du système foncier pour la sécurisation des droits dans le pays. Ce projet de 36 mois financé par Affaires mondiales Canada vise à sécuriser les titres fonciers privés inscrits aux registres manuscrits centralisés à la Direction Générale des Impôts (DGI) en procédant à leur numérisation et à leur indexation. Il vise aussi à faciliter l’implantation d’un registre foncier informatisé permettant l’abandon progressif de la transcription des titres fonciers manuscrits et le passage à l’enregistrement des actes notariés directement dans le nouveau registre foncier. 

Le PIRFH bénéficie directement au personnel de la Direction de l’enregistrement et la conservation foncière (DECF) et au personnel de la DGI chargé de la protection et conservation des registres fonciers manuscrits, aux institutions nationales portant le grand projet de réforme foncière en Haïti, à savoir le Comité Interministériel pour l’Aménagement du Territoire (CIAT) et l’Office national du cadastre (ONACA) et enfin aux professionnels du foncier, notaires et arpenteurs qui opèrent en Haïti.

En tant que projet bilatéral de la coopération canadienne, le PIRFH tient compte des engagements de la Politique d’aide internationale féministe du gouvernement du Canada visant la promotion de l’égalité des sexes et le renforcement du pouvoir des femmes et des filles à travers ses programmes de financement. Bien que le projet n’ait pas pour mandat de résoudre les enjeux d’égalité entre les sexes dans les institutions et professions liées au foncier ou à l’accès et aux droits de propriété, il compte contribuer aux efforts du gouvernement haïtien visant à accroître l’égalité entre les femmes et les hommes. Ainsi, le PIRFH encourage le leadership et la participation des femmes aux processus décisionnels du projet de même qu’il facilite l’accès égal des femmes aux opportunités de formation et d’emploi.

Il existe peu de recherches à l’heure actuelle aidant à discerner à quel niveau les femmes haïtiennes exercent le contrôle de leurs biens ou si elles ont des difficultés à préserver leurs droits fonciers. La présente étude a pour but d’apporter un éclairage sur ces questions, et d’identifier les stratégies d’accès et de protection des biens fonciers pour les femmes en vue de leur pleine inclusion sociale et économique en Haïti. Il s’agit d’analyser : 

  • Si les droits fonciers des femmes sont garantis au niveau des cadres légaux et règlementaires du foncier en Haïti et dans la pratique (si les lois et les règlements en place sont effectivement appliqués) ;
  • Si les traditions, us et coutumes en Haïti ont un impact ou non sur l’accès à la propriété bâtie ou celle d’exploitation agricole et sur la sécurisation des droits fonciers des femmes ;
  • Si les femmes, sur la base de leur genre, rencontrent des obstacles pour acquérir des biens fonciers (achat, héritage, don) et quelles solutions aident à mieux sécuriser leurs droits ;
  • S’il existe des stratégies endogènes développées par les femmes afin d’accéder, de sécuriser et conserver leurs biens fonciers.

1.    Résumé

Au niveau de leur forme, les textes légaux en Haïti comme dans plusieurs pays utilisent toujours le genre masculin. Cependant, l’analyse du cadre légal en lien avec le foncier permet de constater que les femmes ne sont pas discriminées au niveau des lois. Toutefois, des pratiques coutumières et traditions sociales font qu’elles ne jouissent pas de l’ensemble des droits inscrits dans ces textes. Les instruments légaux en vigueur précèdent l’actuelle constitution de 1987 : bien qu’une réforme foncière pilotée par le Comité Interministériel pour l’Aménagement du Territoire (CIAT) ait été entreprise en 2012, aucune loi n’a été votée à ce jour. 
La plus grande partie des transactions (achats et vente) et mutations (changement de propriétaires) foncières se pratiquent en dehors du cadre légal statutaire. Par conséquent, il est difficile d’identifier le nombre de propriétaires par sexe. Toutefois, il est plus ardu pour les femmes d’avoir accès à la terre vu qu’elles ont en moyenne un plus faible niveau d’éducation et moins de ressources financières que les hommes. En matière de succession, l’indivision, c’est-à-dire l’absence de partage des biens de manière légale entre plusieurs héritiers, se révèle parfois discriminatoire pour les femmes car les propriétés léguées sont souvent exploitées par un ou quelques héritiers et les titres de propriété sont souvent gardés par l’héritier aîné de sexe masculin. Les femmes qui ne vivent plus sur les propriétés familiales ont du mal à jouir de la portion de terres qui leur revient de droit. De plus, le plaçage, union consensuelle très répandue en Haïti, n’est pas pris en compte par la législation haïtienne. Dans ce mode d’union, les hommes achètent souvent les biens uniquement à leur nom et, en cas de séparation ou de décès du conjoint de fait, les conjointes de fait ne peuvent faire valoir leurs droits devant la loi. 

Les terres qui ne sont pas légalement sécurisées le demeurent en grande partie à cause de la complexité des procédures administratives et de leurs coûts (honoraires des arpenteurs et des notaires). En milieu rural, les procédures s’arrêtent souvent à l’arpentage. Très peu de femmes poursuivent la procédure jusqu’au notaire. Elles considèrent inutile de dépenser leur peu d’argent en procédures qui ne leur rapporteront pas de bénéfices économiques dans l’immédiat. Le faible niveau d’instruction et de connaissances par les femmes de la législation sur le foncier contribue toutefois aussi à l’insécurité foncière. 

Dans le milieu rural de Camp-Perrin ciblé pour l’étude, la majorité des femmes sont propriétaires de leur résidence, y ayant accédé par achat ou par succession, mais peu de propriétés sont enregistrées à leurs noms, dû au faible niveau d’enregistrement ou au fait que leurs noms ne soient pas inscrits sur les documents. Les résidences en milieu rural sont souvent construites par l’homme avant le mariage ou le plaçage. Les actes d’arpentage et/ou les titres sont émis le plus souvent au nom du conjoint. Les propriétés acquises par héritage demeurent largement au nom des parents ou des aïeux, faute d’aboutissement des procédures administratives. Les femmes sont souvent perdantes lors des transferts de propriété par héritage quand les héritiers s’accaparent de la terre au détriment des héritières. Les mesures légales ne sont généralement pas coutume et pratique courante dans la résolution de conflits en Haïti et selon les témoignages,  les femmes ne sont pas à l’aise avec les recours légaux. Les conflits terriens, assez rares dans la commune, concernent aussi bien les femmes que les hommes.

Les femmes qui vivent en milieu rural participent aux travaux agricoles mais la majorité des parcelles appartiennent aux hommes. Elles exploitent aussi les parcelles héritées de leurs parents ou celles prises en contrat de bail (fermage) ou en métayage. 

Parmi les individus, il y a plus d’hommes que de femmes qui se présentent dans les bureaux des arpenteurs et des notaires. Cependant, les clients en couple sont plus nombreux, et les transactions dans la majorité des cas sont faites au nom du couple. Certaines femmes craignent d’être victimes de surfacturation de la part des arpenteurs et des notaires à cause de leur sexe. Il y a certainement un problème de confiance. 

L’ignorance des lois est répandue en milieu rural. Les femmes demeurent les moins renseignées sur les règlements régissant le foncier. Très peu savent que les transactions se complètent chez le notaire.  Il n’y a pas de structures de la société civile ni d’institutions publiques qui les accompagnent dans le processus de sécurisation des biens. C’est essentiellement grâce au recensement des propriétés réalisé par le CIAT en été 2017 que la population à Camp-Perrin a été initiée au fonctionnement du domaine foncier. Bien qu’il y ait un certain nombre d’organisations de la société civile à Camp-Perrin, aucune n’intervient spécifiquement dans le foncier et n’apporte d’appui au processus de sécurisation des biens acquis par les femmes. Leurs interventions sont centrées sur la production agricole (igname, cacao, banane), le stockage de grains et la transformation de produits agricoles. Les organisations de femmes sont surtout des mutuelles de solidarité.

L’accès au financement est un obstacle de taille pour les femmes. Cependant, la majorité de celles rencontrées ont déjà sollicité et obtenu des prêts d’institutions de microfinance et/ou des mutuelles de solidarité des groupements dont elles sont membres. Il n’y a pas d’écart important entre les deux sexes dans l’approbation d’un prêt. Cependant, les requérants hommes obtiennent des montants plus élevés que les femmes, parce que les activités génératrices de revenus exercées par les femmes ne leur donnent pas de valeur collatérale suffisante pour obtenir des prêts importants.

Les caisses d’épargne et de crédit de Camp-Perrin prennent des biens en garantie (meubles et immeubles) pour certains montants accordés comme prêts. Toutefois, ils n’enregistrent pas les titres de propriété des immeubles à la DGI comme l’exige la loi sur les hypothèques. Deux raisons motivent cette abstention :  les directeurs de crédit des caisses d’épargne et de crédit interviewés estiment d’une part que la procédure de saisie est longue et coûteuse et, d’autre part, pour les biens localisés en milieu rural, l’article 27 du code rural interdit de prendre en gage les biens ruraux appartenant à des paysans à des fins hypothécaires. « Toute convention passée en violation de la présente disposition est nulle de plein droit ». 

Les caisses d’épargne et de crédit prennent des biens en garantie (titres de propriété). Toutefois, ils ne sont pas grevés d’hypothèque car d’une part, les directeurs de crédit estiment la procédure de saisie longue et coûteuse, et d’autre part ils se réfèrent à l’article 27 du code rural selon lequel « les biens ruraux appartenant à des paysans ne pourront être l’objet ni de vente à réméré ni d’hypothécaire avec clause de voie parée. Toute convention passée en violation de la présente disposition est nulle de plein droit (…) ».

Dans une autre zone (urbaine) ciblée par la recherche, soit le quartier de Bas Peu de Choses dans la Commune de Port-au-Prince, près de la moitié des femmes rencontrées sont des propriétaires. Celles qui sont cheffes de ménages ont souvent le statut de locataires. Les propriétés bâties sont érigées sur de petites superficies. Suite au tremblement de terre de 2010, les maisons de certaines femmes se sont effondrées et faute de moyens pour reconstruire, elles ont été contraintes de vendre les propriétés pour s’installer dans des logements précaires dans l’aire métropolitaine (Carrefour-Feuilles, Mariani, Canaan, Martissant). 

Dans la majorité des cas, les femmes accèdent à la propriété par achat. Celles ayant acquis leur propriété par héritage sont peu nombreuses en milieu urbain. La majorité des femmes ont réalisé elles-mêmes les transactions ou avec leurs conjoints pour celles qui sont mariées. Elles possèdent les titres de propriété et les conservent. Les femmes de ce quartier connaissent plus ou moins les directives et les procédures légales à suivre et leurs droits en matière foncière ainsi que les directives en cas de mutation de propriété. Cependant, durant l’enquête, il s’est avéré que très peu de femmes se présentent dans les études des notaires. 

Selon les femmes rencontrées, la jouissance des propriétés bâties semble relativement paisible à Bas Peu de Choses. Elles ont fait état de quelques immeubles indivisés appartenant à des groupes d’héritiers : l’indivision demeure à cause de l’absence de l’un/e des héritiers/ères ou la difficulté en raison de la petitesse de la maison ou de sa valeur de réaliser un partage qui satisfasse tous/tes les héritiers/ères. 

Il existe une minorité de ménages qui disposent de moyens financiers pour l’achat ou la construction de propriété. La plupart des participantes à l’étude ont obtenu des prêts auprès des institutions financières au moment de construire leur maison ou pour faire un petit commerce leur permettant de subvenir aux besoins de base.  Si les professionnelles répondent aux critères d’éligibilité, celles qui exercent le petit commerce sont obligées de traiter avec les caisses d’épargne et de crédit ou les mutuelles de solidarité. Les taux d’intérêt pratiqués dans le secteur de la microfinance ne sont pas favorables aux femmes et sont une entrave à la capacité de rembourser. En contraste avec Camp-Perrin, plus de la moitié des participantes de l’étude à Bas Peu de Choses ne sont pas membres d’organisations de femmes. 

Les acteurs évoluant dans le secteur foncier pensent que la législation haïtienne n’est pas défavorable aux femmes, mais que c’est plutôt le système qui est mal organisé : il faudrait un code foncier clair, la révision et la vulgarisation des textes de loi, la formation des officiers publics et des professionnels du droit et de l’information du public. Ils sont d’avis qu’il serait aussi important de sensibiliser à grand échelle les femmes en particulier sur l’importance que leurs noms soient consignés sur les actes légaux.

En ce qui concerne le contenu des actes et leur transcription et enregistrement à la Direction Générale des Impôts (DGI), les agents ministériels rencontrés considèrent inutile de spécifier le sexe car la terminologie utilisée (citoyenne, acquéreuse, vendeuse, requérante etc.) prend en compte le genre selon eux. Dans le contenu de l’acte, on lit souvent: « a comparu le citoyen ou la citoyenne » ou encore « les époux ». Pour une identification indubitable, un champ dans la base de données numérisée pourrait indiquer le sexe.

2.    Objet d’étude et méthodologie 

L’étude vise à apporter un éclairage sur la question d’égalité entre les femmes et les hommes en matière d’accès, de sécurisation, et de contrôle des biens fonciers en Haïti. Ceci permettra de comprendre ce qui pose obstacle à une meilleure garantie d’égalité, et quelles stratégies pourraient être mises en place pour accroître les opportunités égales et les bénéfices équitables de la propriété foncière pour les femmes comme pour les hommes.    

La présente recherche a été effectuée en deux temps : 1) une revue documentaire sur le système foncier pour repérer les questions relatives à l’égalité de genre dans le foncier; 2) une enquête terrain dans deux sites choisis pour leur distinction : un milieu rural (Camp-Perrin) et un milieu urbain (Bas Peu de Choses).  

La  revue de la documentation disponible qui touche la question du genre dans le domaine foncier haïtien ainsi que les entrevues et rencontres ont permis de collecter des informations sur les aspects suivants : la garantie des droits fonciers au niveau des cadres légaux et règlementaires; les contraintes affectant les femmes en rapport au foncier en Haïti; l’impact des traditions, us et coutumes en Haïti sur l’accès à la propriété bâtie ou celle d’exploitation agricole; la relation entre la sécurisation des droits fonciers et l'autonomie des femmes; les obstacles auxquels sont confrontées les femmes pour acquérir des biens fonciers (achat, héritage, don) et les solutions  pour mieux sécuriser leurs droits ; les stratégies  développées par les femmes pour sécuriser leurs biens fonciers; les approches susceptibles de sensibiliser les décideurs aux inégalités entre les femmes et les hommes en matière de foncier.

Pour l’enquête terrain, six (6) groupes de discussion et onze (11) rencontres institutionnelles ont été tenus du 17 au 21 septembre 2018 avec au total 74 femmes et 17 hommes de Camp-Perrin. Ensuite, du 1er octobre au 9 novembre, trois (3) groupes de discussion, onze (11) rencontres institutionnelles et 6 rencontres individuelles ont été tenus avec des femmes et des hommes de Bas Peu de Choses et de l’aire métropolitaine. Quarante-trois (43) personnes (25 femmes et 18 hommes) ont été rencontrées. Au total, 134 personnes dont 99 femmes et 35 hommes ont pris part aux consultations. 

La majorité des participantes étaient membres d’associations de femmes et propriétaires de maisons et/ou d’exploitations agricoles, surtout celles de Camp-Perrin. Des entrevues individuelles ont été réalisées avec près d’une quarantaine de personnes aux Cayes, à Port Salut, à Camp-Perrin et dans l’aire métropolitaine dont Bas Peu de Choses. De plus, des rencontres ont été réalisées avec des notaires, des arpenteurs et les responsables de leurs associations professionnelles; avec des responsables d’institutions étatiques, des acteurs de la société civile impliqués d’une certaine façon dans le foncier et l’appui aux groupes de femmes; enfin avec des gestionnaires de programmes d’épargne et de crédit et des directions d’organismes de promotion des droits humains notamment les droits des femmes.

3.    Limites de l’étude 

A Camp-Perrin, les enquêtes se sont déroulées au niveau des 3 sections communales, du Centre-ville (Bas Camp) et d’une section communale avoisinante de Camp-Perrin, 4ème section Torbeck. Un seul groupe de femmes a été rencontré dans chacune des sections, ce qui ne représente pas toutes les localités. Les résultats des enquêtes sont donc basés sur les témoignages d’environ une centaine de femmes.

Au niveau de Bas Peu de Choses, il a été difficile de rencontrer un nombre représentatif de femmes dans les groupes de discussion (moins de 8 femmes par groupe) et d’avoir des discussions en profondeur avec les responsables des institutions impliquées dans le foncier. 

Il y a peu d’acteurs œuvrant dans le foncier et peu prennent en compte la question du genre dans leurs actuelles interventions. Cela a constitué une limite dans les réflexions et les propositions sollicitées.  Il n’y a pas d’organisations de femmes qui travaillent spécifiquement sur la question foncière en Haïti. Il ne semble pas y avoir de prise de conscience ou de reconnaissance parmi les acteurs et décideurs des inégalités entre les hommes et les femmes dans le domaine foncier. Par ailleurs, très peu d’interventions en cours en Haïti (une dans le Plateau central et une dans l’Artibonite, facilitées par INARA) prennent en compte les limitations d’accès à la terre pour les femmes, mais les quelques exemples existants présentent des modèles intéressants.

4.     Portée géographique 

L’étude s’est limitée aux deux zones mentionnées afin de comprendre la manière dont l’identité de genre et les rapports hommes-femmes influencent les processus de sécurisation des biens par les femmes, et afin d’identifier si des distinctions importantes existent en milieu rural et urbain sur cette question. La sélection des zones était avantageuse du fait que le Comité Interministériel d’Aménagement du Territoire (CIAT) y travaille sur la sécurisation foncière (v. p. 17), ce qui aurait permis de croiser des données avec celles du CIAT. 

4.1 La commune de Camp-Perrin

Camp-Perrin est une commune de l’arrondissement des Cayes, située à 22 km au nord des Cayes, le Chef-lieu du département du Sud. Sa superficie est évaluée à 133,8 km² et sa population a été estimée en 2015 à 45 043 habitants1. Jusqu’en 1931, elle était un quartier des Cayes. Le territoire est divisé en plusieurs quartiers. Le quartier commercial, appelé Bas-Camp, situé à l’entrée de la ville, est constitué de magasins, de boutiques et de bureaux publics. Il y a 3 sections communales : Lévy-Mersan, Champlois-Marceline et Tibi-Davezac. Au niveau de la 1ère section et de la 2ème section, plus de la moitié des propriétaires sont en possession de leurs titres de propriété. Par contre, dans la 3ème section, seul le 1/10ème des occupants possède les titres. La majeure partie du centre-ville de Camp-Perrin relève du domaine privé de l’État.

4.2 Le quartier de Bas Peu de Choses

Le quartier de Bas Peu de Choses est au cœur de la ville de Port-au-Prince, à proximité du Champ de Mars. La population de la ville de Port-au-Prince dans laquelle est incluse Bas Peu de Choses a été estimée à 977, 790 habitants en 20152. Le quartier, traversé par une grande ravine connue sous le nom de Bois-de- Chêne est dominé par l’un des plus grands marchés publics de la capitale : le marché Salomon. Le quartier date du 19ème siècle (1899) et couvre une superficie de 35, 6 hectares, habités par les classes moyennes :  petite bourgeoisie, commerçants, professionnels. Le quartier foisonnant d’activités entre 1940-19503 a été ainsi nommé par le député Sudre Dartiguenave qui deviendra président d’Haïti en 1915.  

5.    Les grandes lignes du système foncier en Haïti 

Les institutions internationales et les nations du monde ont reconnu depuis un demi-siècle la situation d’inégalité sociale et économique affectant en particulier les femmes. « Entre 1960 et 2010, plus de la moitié des restrictions au droit d’accès des femmes à la propriété et à leur capacité à accomplir des actes juridiques ont été supprimées dans 100 pays examinés par la Banque mondiale. Dans trois régions (Afrique subsaharienne, Amérique latine et Caraïbe, et Asie de l’Est et Pacifique), elles ont été réduites de moitié »4.

Le cadre légal du foncier en Haïti est défini à travers la constitution de 1987, le code civil d’Haïti, le code rural et les codes de lois usuelles (collection de dispositions légales :  lois, décrets, décrets-lois, arrêtés présidentiels).  Au niveau de la forme, l’utilisation du masculin générique dans la majorité des textes est surtout, en ce qui concerne le code civil et les lois rédigées il y a longtemps, une réalité du contexte historique : le normatif masculin a dominé longtemps la documentation légale, et c’est le cas jusqu’à ce jour dans une majorité de pays. Ces normes tendent heureusement à changer : un normatif neutre est approprié à la reconnaissance de la femme comme un sujet de droits égaux. 

Le code civil de 1864 fixe les modalités et procédures d’accès à la propriété privée : obtention par héritage, par achat, par le partage et leurs modes de gestion et de transfert de biens divers. Les modalités d’usage de terres rurales, mais non de propriété, sont articulées dans le code rural. Les articles 36 et suivants de la constitution de 1987 reconnaissent et garantissent la propriété privée pour tous les individus du pays.

A cet égard, les femmes ne sont pas discriminées du point de vue légal en Haïti, et elles peuvent légalement acheter des terres. Depuis le décret du 8 octobre 1982, la femme mariée n’est plus subalterne. Elle est relativement épanouie et jouit des mêmes droits, ayant le plein exercice de sa capacité juridique, et administre conjointement la communauté (tous les revenus, mobiliers et immeubles acquis durant le mariage) avec son époux dans le cas du régime de communauté légale. Il faut donc l’autorisation de l’autre conjoint pour vendre ou hypothéquer un bien acquis durant le mariage.  Cependant, la femme qui travaille dans le secteur privé ou public ou qui exerce une profession peut désormais, avec ses revenus propres, faire l’acquisition de biens réservés, pourvu qu’elle mentionne la provenance des valeurs. Ils ne tombent pas en communauté et elle peut sans l’autorisation du mari les aliéner5 . Toutefois, elle doit faire valoir cette dérogation au régime de la communauté légale des biens devant le notaire (Art. 10) avant de se marier.

Le système actuel d’enregistrement des droits fonciers est complexe : il constitue une barrière à l’accès aux terres, à la sécurisation des propriétés et à l’investissement, tant pour les hommes que pour les femmes. Toutefois, les obstacles sont plus nombreux et se posent de manière plus accentuée pour les femmes, alors que les lois haïtiennes relatives au foncier ne font aucunement mention des obstacles particuliers que peuvent rencontrer les femmes et les filles.

D’après le rapport de l’index 2017 de « Doing Business »6 Haïti est parmi les pays les moins performants dans la région de l’Amérique Latine et des Caraïbes (LAC). Sur 190 pays, Haïti est classé 180ème lorsqu’il s’agit d’enregistrer un bien foncier et 166ème lorsqu’il s’agit d’obtenir un permis de construire. Un des obstacles importants est financier : par exemple, les frais de permis de construction représentent 15 % du coût total de la construction, ce qui est beaucoup plus élevé que la moyenne de 2,5 % dans la région LAC et de 7,6 % en Afrique subsaharienne. 

La précarité du système foncier est souvent considérée comme l’une des causes du manque d’investissement dans le pays. L’État haïtien ne s’est pas doté de politique publique et de moyens pour lutter contre les inégalités dans ce domaine. En reconnaissance des lacunes de gestion du système foncier, une réforme du cadre légal en lien avec le foncier est initiée depuis 2010. Elle vise à « moderniser les institutions en charge de la gestion de la propriété et d’assurer ainsi une plus grande sécurité foncière »7. La réforme concerne : le décret du 27 novembre 1969 sur le notariat; le décret du 26 février 1975 définissant les attributions de l’arpenteur et règlementant la profession; le décret du 28 septembre 1977 sur l’enregistrement et la conservation foncière et; le décret du 23 novembre 1984 créant l’Office National du Cadastre. Tous ces instruments légaux précèdent l’actuelle constitution en vigueur depuis 1987. Les propositions de lois sont portées par le CIAT et sont encore au niveau de l’Exécutif et non au Parlement.
 
Dans le cadre de la réforme foncière, le CIAT a reçu des fonds de la Banque interaméricaine de développement (BID) pour un ensemble d’interventions visant la sécurisation foncière dans huit communes du Sud, du Nord et du Nord-est : Camp-Perrin, Maniche, Chantal, Grande Rivière du Nord, Vallières, Bahon, Sainte-Suzanne et Ranquitte ainsi que dans quatre quartiers de la commune de Port-au-Prince: Bas Peu de Chose, Baillergeau, Centre-Ville et Pernier. Ceci devait servir de pilote pour élargir la sécurisation foncière à d’autres régions et aboutir à l’élaboration d’un plan foncier de base et d’un registre cadastral. 

Malgré ce que stipulent les dispositions des lois notamment le code civil et la loi sur l’enregistrement et la conservation foncière, les procédures légales de transactions pour acquisitions foncières et les mutations à la suite d’héritage ne sont pas souvent suivies. Un tiers des parcelles rurales ne sont pas enregistrées et 19% ont tout juste le reçu d’acquisition du terrain comme preuve de propriété. Environ 75% des contrats en lien avec le foncier en Haïti suivent les normes et les accords traditionnels8. 

Le développement territorial et foncier en très grande partie informel et non planifié est lié entre autres à la confusion légale autour de l’enregistrement de propriété, à la résistance aux processus formels et aux pratiques traditionnelles informelles (de facto) de gestion de biens. S’ajoutent à ceci les questions de coûts, de temps, et la difficulté des rapports de confiance. Il a été calculé que 60 % des ménages haïtiens ne possédaient aucun document formel attestant de leur propriété foncière (USAID 2010).

Le décret-loi du 22 août 1995 relatif à l’organisation judiciaire attribue au Conseil d’Administration de la Section Communale (CASEC) la gestion du domaine privé de la section communale. Cependant, le faible niveau d’instruction de la majorité des membres des CASEC pose obstacle à la capacité locale de bien gérer le patrimoine communal tel que le prévoient le décret et le code rural. 

Les ventes de terrain se pratiquent généralement en dehors des lois foncières statutaires (« de jure »). Il suffit qu’acheteur et vendeur s’entendent sur l’espace vendu et sur le prix pour que la transaction soit conclue verbalement.  De telles ventes ne font souvent intervenir aucun des officiers assermentés comme les notaires et les arpenteurs.  Les propriétés sans preuve documentée sont nombreuses. Dans la majorité des cas, la personne qui achète ne reçoit qu’un reçu attestant du versement et ceci constitue un acte de vente sous signature privée assurant la véracité du titre. Ce document n’a pas toujours de mention du type de transaction conclue, de l’état descriptif de la parcelle, et même de l’identité des parties. Cet état de fait, au-delà de l’irrégularité procédurale, peut nuire sérieusement aux intérêts d’éventuels héritières et héritiers qui doivent prouver la transaction. L’acquisition des jardins domestiques obéit à des modalités identiques : achat, héritage, bail, métayage. La Direction de l’Enregistrement et la Conservation Foncière de la DGI (DECF) assure la publication du titre signé et déposé qui devient alors opposable par les tiers. Sa mission consiste à transcrire et enregistrer et non de vérifier la qualité et la validité d’un acte. La contestation peut être enclenchée car la transaction est réputée être connue de tous. 

Pour la transcription et l’enregistrement des actes fonciers, ce sont les notaires et les arpenteurs qui se présentent à la DECF. Le notaire doit légalement assurer la véracité du titre tandis que la DECF en assure la publication. Puisque toutes les propriétés pour lesquelles un document dûment complété (sous signature privée ou acte authentique) est présenté à la DECF doit être enregistré, une même propriété documentée de différentes manières ou sous des noms divers peut y être enregistrée plusieurs fois, causant un imbroglio juridique notamment en matière de succession. La DECF n’est pas responsable de veiller à la véracité des actes. La qualité et véracité de transcription est donc un élément essentiel à l’authenticité de l’information foncière. 

Les modalités de succession sont réglées par les articles 578 à 626 du Code civil (article 605 : Les enfants légitimes ou leurs descendants succèdent à leurs père et mère, aïeuls, aïeules, ou autres ascendants, sans distinction de sexe ni de primogéniture, et encore qu’ils soient issus de différents mariages). Le décret du 27 janvier 1959 met fin à l’inégalité juridique et assure les mêmes droits et obligations entre les enfants naturels reconnus et les enfants légitimes (article 605). 

Les modalités d’appropriation de la terre en Haïti renvoient à des pratiques et à des représentations très différentes de celles prévues dans les textes de lois. Le partage de la terre familiale entre les héritiers se fait souvent à l’amiable, sans formalisation. En cas de conflits, ce sont les titres de propriété originels, couvrant les droits de l’ensemble des héritiers indivis (qui ont des biens en copropriété non séparés légalement) et parfois de plusieurs générations qui servent de preuve.9 

Certaines pratiques accordent une portion plus importante aux garçons. D'autres pratiques prescrivent que les filles doivent hériter des parcelles proches de la résidence principale, parcelles plus riches organiquement. Cependant, l'aîné masculin hérite souvent d'une plus grande proportion de terre et des portions de terre les plus fertiles. Ce privilège dérive de deux pratiques coutumières répandues : « lors des opérations de partage, l'aîné est souvent invité à choisir son lot en premier. Il bénéficie de plus des parcelles exploitées en pré-héritage comme étant des droits acquis, ce qui lèse les cadets. Lorsque des enfants de plusieurs lits concourent à la succession d'un même père, de subtils mécanismes tendent à exclure les enfants issus des foyers secondaires au profit de ceux issus du foyer principal. »10  

Les enfants naturels non reconnus et les enfants adultérins n’ont aucun droit à la succession de leur père. Les compagnes illégitimes ne sont pas légalement reconnues comme ayant droit à l’héritage d’un homme marié. Il en est de même des femmes vivant en plaçage (union de fait) avec un homme. Dans la campagne haïtienne, bien des astuces existent pour contrebalancer la sévérité du partage égalitaire. La plus courante reste la vente, fictive ou non, pour laisser un héritage foncier à une compagne illégitime, ou pour avantager l’un des enfants, pour assurer un héritage à un enfant naturel non reconnu, illégitime ou adultérin11.

Lorsqu’une terre est indivisible, elle demeure généralement indivisée. Rompre l’indivision est coûteux. Pour payer l’arpentage, il faut parfois vendre une partie de ses droits à un cohéritier, ou encore l’ensemble des héritiers peuvent céder une partie du terrain à titre d’honoraires à l’arpenteur. De plus, il faut pour chaque parcelle divisée un acte authentique délivré par un notaire et enregistré à la Direction Générale des Impôts12. 

6. Statut d’occupation et mode d’acquisition de la propriété en Haïti

Les articles 572 et 573 du Code civil traitent des manières d’acquérir la propriété tandis que la loi du 12 janvier 1934 se réfère au bien rural de famille et celle du 8 septembre 1948 au don national. Suivant l’époque du Code civil, tout fermier de l’État, après 10 ans d’occupation et de paiement des redevances domaniales pouvait obtenir son titre définitif et irrévocable de concessionnaire (loi du 12 janvier 1934). Jusqu’à maintenant, si un fermier peut justifier par la production de récépissés délivrés par la DGI pendant 20 ans qu’il possède une construction pouvant servir de maison d’habitation située dans les communes de 4è, 5è et 6è classes et dans les quartiers ruraux, il sera émis en sa faveur un titre de don national13. 

Il y a cependant un manque de clarté concernant la propriété foncière et l’absence de certitude quant à l’efficacité des transferts de terrains. Le statut de propriétaire n’est pas toujours formellement établi en Haïti et plusieurs maisons sont bâties sur des terrains sans titre officiel de propriété. De plus, les changements ne sont pas toujours effectués sur le titre principal même après la vente. Ce faisant, de telles propriétés ne peuvent être vendues qu’à l’intérieur de petits cercles où les gens se connaissent et se font mutuellement confiance, et elles ne peuvent servir de garantie à un emprunt ni d’apport en nature lors d’un investissement. 

Il existe plusieurs types de propriétaires en Haïti : 

  • Ceux et celles avec titres authentiques; 
  • Ceux et celles avec titres sous signature privée;
  • Ceux et celles avec indices (formes autres démontrant la propriété, tel le témoignage écrit de voisins, des preuves d’investissements, etc.) ;
  • Ceux et celles sans titres ni indices. 

Au dernier recensement national en 2003, 52.8% de locataires ou fermiers avaient été dénombrés dans l’aire métropolitaine et 19.0% dans les autres villes14. Le statut de propriétaire de logement en milieu rural l’emportait sur les milieux urbains qui se caractérisaient par une présence plus forte du statut de locataire. Avant le tremblement de terre, moins de 38% de toutes les propriétés dans la région métropolitaine de Port-au-Prince possédaient des titres dûment enregistrés15. En ce qui concerne les terres publiques, moins de 5% sont officiellement comptabilisées dans les registres. En grande majorité, les terres sont transmises verbalement d’une génération à l’autre16. Parmi les propriétaires de maisons, 61% de femmes et 67% d’hommes n’ont aucun titre de propriété, tandis que pour les terres la proportion d’hommes propriétaires est moins élevée à 37% que celle des femmes à 48%17.

6.1 La situation générale des femmes haïtiennes par rapport au foncier en Haïti 

Les informations sur les droits fonciers en lien avec les femmes en Haïti sont limitées. En dehors des données du recensement général agricole réalisé entre 2009-2010 et du rapport « Étude d’impacts sociaux » du Comité Interministériel d’Aménagement du Territoire (CIAT) qui contiennent quelques statistiques partielles, on ne peut évaluer dans l’ensemble l’équité d’accès aux terres pour les femmes et pour les hommes (propriétés bâties et parcelles agricoles). Il n’existe pas d’étude ciblée sur la reconnaissance et la préservation des droits fonciers pour les femmes. Toutefois, certaines études globales sur l’accès aux terres et leur sécurisation fournissent quelques données sur le pourcentage de parcelles agricoles exploitées par des femmes. Plusieurs des données disponibles ne sont toutefois pas récentes. 

Selon le rapport de l’EMMUS VI réalisé en 2016-2017, « la possession de biens varie selon le milieu de résidence et l’âge. En milieu rural, 36% de femmes possèdent une maison seule et ou avec quelqu’un d’autre contre 18% de femmes en milieu urbain. Un fort pourcentage de femmes en milieu urbain ne possèdent ni maison (82%), ni terre (84%) comparé en milieu rural respectivement à 64% et 65%18».

Au niveau de la communauté, les femmes participent peu jusqu’à maintenant au processus de diagnostic et de prise de décision et ne bénéficient pas équitablement des ressources mises en place par les diverses interventions. La lourdeur des responsabilités domestiques réduit la capacité des femmes de participer aux formations, aux consultations, et aux activités économiques diversifiées. La domination des femmes par les hommes est enracinée dans le tissu social : les rôles traditionnels déterminés selon le genre perpétuent la notion d’infériorité de la femme et la discrimination notamment en matière de possession et de gestion de biens capitaux. Par ailleurs, la situation de monoparentalité très élevée en Haïti accentue la vulnérabilité des femmes : en 2012, selon l’Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique dans sa projection de 2012 près de 5 ménages sur 10 dans les villes sont gérés par une femme seule qui travaille. Cette statistique est légèrement moindre en zone rurale, à 38,7%.
Au niveau des ménages en couple, la tendance est à la hausse dans le pourcentage de femmes participant à la prise de décision, de 53% entre 2005-2006 à 61% en 2012 pour atteindre 69% entre 2016-2017. Cette tendance est plus prononcée en milieu urbain (72%) qu’en milieu rural (67%). Les femmes qui gagnent un revenu participent davantage à la prise de décision (74%) que celles qui n’ont aucun revenu (56%). Pour ce qui est des achats, les femmes participent aux décisions dans 83% des cas et sont seules à décider dans 27% des cas.

Bien que l’égalité des droits soit conférée par la loi, les femmes ne jouissent pas de l’ensemble des droits inscrits dans la Constitution de 1987 et de la mesure d’équité prévue à l’amendement de 2012 selon l’article 17.1 instituant un quota cible d’au moins 30% de femmes à tous les niveaux des instances gouvernementales  nationales (en 2018, il y a une seule femme au Sénat et seulement 3 femmes sur 119 à la Chambre des députés). Cette situation est souvent attribuée au manque de formation et de compétences des femmes pour les postes de haute gestion. Au niveau des municipalités, sur 143 cartels de maires et mairesses élus (es), seulement 12 femmes occupent les fonctions de mairesses principales (8%). Les 131 conseils municipaux sont tous gérés par des hommes (92%). Les femmes se retrouvent comme mairesses adjointes soit 130 mairesses.  La situation est encore plus critique en région où très peu de femmes ont accès à la sphère publique. La femme étant en minorité dans les instances du pouvoir, les questions et problèmes concernant particulièrement les femmes sont rarement pris en compte dans les délibérations et décisions. 

6.2 Le processus d’accès et de sécurisation des biens par les femmes propriétaires

Avec l’état actuel des données, il est difficile de savoir le nombre réel de propriétaires selon le sexe. Certaines propriétés appartenant à des femmes sont exploitées par des hommes. Vu que les travaux agricoles sont souvent planifiés et exécutés par les hommes, ce sont eux qui jouissent de facto du droit de propriété et progressivement du contrôle de l’utilisation des terres héritées par leurs conjointes dans le cas où ils sont les principaux exploitants. Mais il y a des femmes qui travaillent de grandes surfaces de terres surtout au décès de leur conjoint19. 

On retrouve les problèmes les plus importants dans la transmission de propriétés par héritage.  Les femmes héritent tout comme leurs frères de chacun de leurs parents et transmettent leurs biens propres à leurs enfants. Durant le partage de la succession, les femmes se voient parfois attribuer les terres ou portions de terres moins arables. Les héritiers s’attribuent les terres fertiles au détriment des héritières. Les femmes sont souvent discriminées car l’héritier qui veut faire valoir ses droits doit être sur place. Les femmes sont lésées par le fait qu’une fois en union, elles ne vivent pas nécessairement dans la région où se trouve la succession selon la pratique que la conjointe suit son époux dans son domicile conjugal20.  

La connaissance des lois et règlements sur le foncier est quasi inexistante et la nécessité de formaliser les transactions auprès d’un notaire est peu connue. Il n’y a pas de structure ni d’institution pour accompagner les femmes dans le processus de sécurisation des biens. Dans les zones d’intervention du CIAT, la population est depuis récemment (2017) mieux sensibilisée sur le régime foncier.

Au moment du recensement général agricole (2009-2010), 16,691 unités exploitées par les femmes ont été recensées dans la catégorie des biens acquis par héritage, soit 24.2% de l’ensemble. Ce qui représentent 6.4% de l’ensemble des parcelles qu’elles exploitent. Les femmes agricultrices se partagent 50,555 parcelles obtenues à partir d’un partage mineur, soit 2.8% du total des parcelles recensées dans l’ensemble du pays21. Étant donné que l’indivision successorale est la règle, elles ne sont pas toujours en mesure de prouver à partir d’un acte (procès-verbaux d’arpentage ou titre de propriété) leur statut de propriétaires de ces parcelles.

Bien qu’environ 45% des femmes se retrouvent comme chef de ménage22, les femmes sont néanmoins privées de prérogatives et de pouvoirs qui devraient découler de cette responsabilité. D’après Enquête sur les conditions de vie en Haïti (ECVH), l’incidence de pauvreté est plus élevée dans les ménages ayant une femme à leur tête que dans ceux ayant un homme23. 

Les femmes en général sont marginalisées dans le contrôle de la production et des revenus. Elles ne bénéficient pas de façon égale des opportunités et des ressources comme l’éducation (au-delà du primaire) et l’emploi. Leur chance de succès et de plein épanouissement sont moindres que pour les hommes. L’accès des femmes aux ressources productives et à leur contrôle limite leur capacité de travail. Dans la pratique, bien que résilientes, elles subviennent difficilement à leurs besoins, ce qui les maintient dans une situation de dépendance financière vis-à-vis de leurs conjoints qui génèrent de meilleurs revenus. 

6.3 Les paramètres limitant l’accès et le contrôle des femmes au foncier 

Il y a plusieurs éléments qui entrent en ligne de compte dans l’inégalité entre hommes et femmes en matière de foncier. La documentation et les témoignages permettent d’identifier des aspects financiers importants, mais aussi, peut-être surtout, des aspects sociaux concernant les distinctions de rôles entre femmes et hommes, les pratiques de liens résidentiels suivant le mariage et la succession, les conditions échouant aux femmes lorsqu’elles ont accès à des terres de moindre valeur et le peu d’intrants pour bien les exploiter. Des aspects légaux et relatifs au système de gestion du foncier posent aussi problème : les lois ne protègent pas les femmes hors du mariage. À cela il faut ajouter la complexité du processus de sécurisation foncière qui, outre ses coûts, est laborieux et mal compris par la population (surtout par la population rurale) dont font partie les femmes qui ont les niveaux les moins élevés d’éducation. 
 
L’une des limitations d’accès aux biens fonciers par les femmes est l’argent. En milieu rural, la terre constitue la ressource essentielle aussi bien pour les femmes que pour les hommes. Les revenus au niveau rural et des villes en région dépendent en grande partie de l’agriculture et de l’élevage. Les femmes rurales ont beaucoup moins accès à l’éducation, à l’information, aux activités génératrices de revenus et aux autres moyens financiers, non seulement à cause de leur emploi du temps et de leur responsabilités domestiques, mais aussi à cause des inégalités socio-économiques profondes et des distinctions entre les milieux urbains et ruraux qui augmentent leur marginalisation économique. Le fait qu’il y ait un grand nombre de terres non sécurisées est dû en grande partie à l’incapacité des petits propriétaires de payer pour la sécurisation (honoraires des arpenteurs et des notaires) et à l’absence de suivi des procédures auprès de la DGI par les officiers ministériels. 

Le droit successoral en Haïti exige le partage égal de la propriété entre les héritières et héritiers. Cependant, un certain nombre de restrictions font que le transfert de la terre demeure généralement théorique, sans formalisation par un titre de propriété. Des parcelles initialement titrées basculent dans la propriété «informelle» par une vente non formalisée24. Il est fréquent que les pièces nécessaires à la demande d’arpentage ne puissent être produites, ce qui empêche le processus légal de vente de se poursuivre. L’héritage peut être partagé informellement.  

L’indivision, cette pratique en Haïti selon laquelle le partage d’une succession et les transferts de propriétés ne sont pas faits de manière légale, se révèle souvent discriminatoire pour les femmes parce que les titres de propriété tendent à être conservés par l’héritier aîné de sexe masculin. Ainsi, les femmes peuvent faire face à des obstacles pour prouver leur légitime propriété :  à cause de cette insécurité foncière, les femmes en milieu rural ont peu tendance à investir pour conserver le sol et en augmenter la productivité, de peur de ne pouvoir jouir des bénéfices financiers qu’elles pourraient en retirer.

L’article 198 du code civil oblige la femme mariée à suivre son époux, principe aussi ancré dans les us et les coutumes. Les femmes qui ne vivent plus sur les propriétés avant ou depuis la mort de leurs parents sont souvent réticentes à proposer le partage de la succession aux autres cohéritiers (le plus souvent des aînés : demi-frères et sœurs, oncles, tantes, cousins/es) ou à réclamer la portion de terre qui leur revient de droit. 

Par ailleurs, les croyances mystiques qui perdurent constituent également une entrave à l’accès aux ressources par les femmes. Il est encore assez commun que les habitants d’une propriété fassent planer la rumeur qu’ils peuvent jeter un mauvais sort à quiconque oserait réclamer une portion de l’héritage.  

Il semblerait, selon les résultats du recensement de la FAO et du Ministère de l’Agriculture (2008-2009) que le rendement des terres agricoles gérées par les femmes soit moindre. Outre le fait qu’en terres héritées elles disposent souvent des parcelles moins arables, les conditions dans lesquelles elles exploitent les champs sont rudimentaires et pénibles; elles disposent de moins de main-d’œuvre (familiale ou salariée), possèdent moins d’équipement, bénéficient d’un moindre appui technique de la part des services de vulgarisation quand ils existent, et ont plus de difficultés à accéder au crédit (manque de garantie collatérale), ce qui rend leurs conditions d’exploitation plus précaires. La faible productivité ne procure que des ressources modestes à la famille et à l’équilibre du budget du ménage25. 

Le mariage civil ou religieux, seul reconnu par le Code civil, représente à peu près un tiers des modes d’union entre femmes et hommes (32% chez les femmes et 36% chez les hommes)26.  En réalité, plus de la moitié des femmes de 15-49 ans vivent dans le plaçage et en union libre (52%) contre 30% des hommes27. Le plaçage, union de fait consensuelle très répandue et socialement acceptée, n’est pas considérée par la législation haïtienne. On la reconnaît factuellement seulement (bien que certaines ONG appliquent les avantages sociaux aux conjoints/es de leur personnel). L’absence de cadre légal concernant le plaçage a d’importantes conséquences pour la femme et sa progéniture. En cas de séparation ou de décès du conjoint de fait, elle ne peut faire valoir ses droits et il arrive qu’elle soit chassée de la propriété par les beaux-parents ou les enfants de précédentes unions. De même, si la femme prend un autre conjoint, elle ne pourra habiter la maison dans laquelle elle avait vécu avec le premier conjoint. Très peu de femmes connaissent les lois et leurs droits dans les différentes formes d’union et se trouvent lésées, ainsi que leurs enfants, lorsque les situations changent. 

Une autre pratique basée sur une norme sociale courante peut souvent déposséder ou entraver la pleine jouissance de la propriété pour les femmes :  elles délèguent aux hommes la tâche de réaliser les transactions et démarches en lien avec le foncier. Bien qu’aucune loi n’empêche les femmes de négocier elles-mêmes ces transactions, elles laissent souvent entièrement aux hommes cette responsabilité. Dans le cadre de cette délégation, il arrive que des femmes perdent leurs avantages, voire leur accès légitime à la propriété. 

Les défis liés au transfert légal et officiel des immeubles et des terrains en Haïti sont complexes, en partie parce que la procédure n’est pas facile à comprendre surtout pour les résidents et résidentes à niveau d’éducation limité et à maigre revenu. Peu de femmes et d’hommes savent comment enregistrer leurs biens et protéger leurs droits fonciers. Outre cette méconnaissance, l’information sur les droits fonciers et les actes sont en français, langue utilisée par ceux et celles qui ont un certain niveau d’éducation. Or, 24% de femmes et 17% des hommes en Haïti n’ont jamais fréquenté l’école. La situation est plus critique encore en milieu rural où 31% de femmes et 13% d’hommes n’ont aucun niveau d’instruction28.

Les exploitants agricoles qui ont atteint au moins le niveau secondaire ne représentent que 10,7% du total de 176,700 agriculteurs recensés et de ce pourcentage, seul 22.5% sont des femmes. En ce qui a trait à la Superficie Agricole Utile (SAU), une majeure partie est exploitée par ceux et celles qui ne savent ni lire ni écrire (52,6%), tandis que ceux et celles qui savent à peine lire et écrire en exploitent 22,9% et ceux et celles qui ont complété le niveau primaire, 16,5%.

Le problème d’accès à l’information et la gestion des données posent des obstacles additionnels :  les acteurs évoluant dans le foncier obtiennent difficilement des informations sur l’historique des propriétés à travers la DGI, là où doit résider toute information sur les propriétés légalement inscrites. Les archives sont vétustes et dans la grande majorité des cas à travers le pays, mal entretenues. Ceci oblige les requérants à s’adresser aux notables de la zone : les prêtres, les vieillards y ayant résidé longtemps, le CASEC, etc. Ceci accentue la pérennisation des pratiques informelles car la confiance en l’efficience d’un système légal et approprié de gestion des enregistrements fonciers est constamment mise en doute

6.4 La perte de propriété due aux désastres

Le séisme de 2010 et des ouragans réguliers ont emporté des vies, des projets, des richesses. La situation de la majorité des femmes s’est fortement détériorée suite à ces événements. L’appauvrissement est remarquable tant en zones rurales qu’urbaines. Une grande majorité de femmes ont perdu leur capacité de rembourser leurs emprunts, ce qui a fait obstacle à l’accès au crédit subséquent.

Les femmes non propriétaires ou au revenu limitant la capacité de vivre en campagne gagnent les chefs-lieux, souvent dans des quartiers vétustes, à la recherche d’opportunités. Elles s’installent et construisent anarchiquement dans des espaces peu viables, mettant leur vie et celle de leurs dépendants en péril.

Après le séisme du 12 janvier 2010, 1,5 million d’Haïtiens et d’Haïtiennes sont devenus des victimes déplacées dans leur propre pays29, faisant face à des expulsions extrajudiciaires souvent violentes les conduisant dans des camps de sinistrés. Les différents gouvernements ont parlé de reconstruction plus qu’il n’y a eu d’action dans ce sens.  Pour déloger les ménages des camps, le gouvernement de Martelly avait alloué 30,000 G aux ménages de 6 camps pour leur relogement en location durant une année. Les femmes ont ainsi vécu en location avec l’espoir de reconstruire un jour leur maison. À l’échéance du bail, elles sont souvent retournées dans leurs maisons endommagées non sécuritaires et certaines y vivent encore 9 ans plus tard, toujours incapables de reconstruire. Certaines ont dû vendre leurs propriétés pour s’installer dans des logements précaires ou des quartiers à risque (Carrefour-Feuilles, Canaan, Mariani, Martissant). Le programme de relocalisation du gouvernement a pu reloger seulement 5% des familles et fournir une seule année de loyer.30 

L’ouragan Matthew de 2016 a aussi détruit une quantité de biens et de maisons des zones affectées. Plusieurs femmes n’ont pas eu les moyens de réparer ou de reconstruire.  Elles peinent à redémarrer leur commerce ou à remplacer leur cheptel, et à avoir les intrants requis pour l’agriculture.31  Il y a eu également un nombre croissant de pertes de titres de propriété suite aux inondations et aux actes de vandalisme, des titres non récupérés chez des notaires, des arpenteurs ou des usuriers faute de moyens financiers. Malgré les mesures gouvernementales mises en place après les désastres permettant aux familles de récupérer gratuitement leurs titres perdus, rares sont ceux et celles qui en ont profité, surtout en milieu rural où les informations sont peu disséminées et où le niveau d’instruction a posé obstacle aux démarches à entreprendre auprès des services.

6.5 Le rôle des organismes d’appui aux droits fonciers des femmes 

Le pouvoir d’expression, de décision et de négociation est monopolisé par une très petite élite détenant également le pouvoir économique et en grande majorité composée d’hommes. En réaction à cet état de fait, les femmes ont senti le besoin de se regrouper, de créer un espace de solidarité, d’où la prolifération des groupements féminins, en majorité en milieu rural. Ils ne bénéficient pas de financement et rarement d’encadrement technique, mais par ces groupements, les femmes acquièrent davantage d’assurance et sont perçues comme plus responsables. Les groupements aident à accroître l’autonomie des femmes et certains exercent un rôle comme groupes de pression.

Une sensibilisation aux droits des femmes et à l’égalité entre les sexes s’opère progressivement en Haïti grâce aux organisations de la société civile. Les organisations de femmes travaillent à favoriser l’accès des femmes aux services sociaux de base et à améliorer leur situation socio-économique. Parmi les organisations de femmes mettant en œuvre des projets ayant un lien avec le foncier on peut citer la Solidarite Fanm Ayisyèn (SOFA), Fanm Deside, organisation de femmes à Marthe-Péralte. La SOFA est reconnue d’utilité publique et intervient au niveau de plusieurs départements géographiques d’Haïti. L’organisation de femmes de Marthe-Péralte est plutôt régionale, au niveau de Hinche, chef-lieu du département du centre.

Bien que les lois haïtiennes incluent des articles permettant aux femmes de porter plainte contre les violations de leurs droits, ces options sont peu connues et peu utilisées par les femmes parce qu’elles n’ont pas vraiment confiance dans le système judiciaire et n’ont pas les moyens de payer les honoraires d’un avocat et les frais légaux (frais de déplacement du juge de paix). Parmi les organisations de droits humains, on retrouve la Commission épiscopale nationale de la justice et paix et le Réseau national des droits humains. Ces deux organismes jouent un rôle important dans la lutte contre les violations des droits et la dénonciation des abus subis par les citoyens et citoyennes en matière d’occupation de force par des spoliateurs proches des pouvoirs établis. Ils sont présents sur tout le territoire haïtien et publient dans les médias des rapports trimestriels. 

Certaines ONG ont des projets ayant trait au logement et à la propriété mais aucune n’y focalise leur mandat, sauf Habitat pour l’Humanité. Face à la complexité et la problématique sérieuse que pose le foncier en Haiti, surtout après le tremblement de terre de 2010, un Groupe de travail sur le foncier a été constitué en 2011. Il est composé de plusieurs institutions étatiques, des associations professionnelles, de cabinets d’avocats et d’études notariales, d’organisations et d’agences internationales, de compagnies privées et d’institutions financières, et se réunit en moyenne aux deux semaines. Il bénéficie de l’appui de la faculté de droit de l’université Quisqueya d’Haiti et est sous le leadership d’Habitat pour l’Humanité. 

Habitat pour l’Humanité travaille en Haïti depuis 1984 dans un cadre conjoint humanitaire et développement, axé sur l’accès des familles haïtiennes aux logements et aux conditions d’habitation adéquats et à la prévention des risques. Comme organisme parapluie du Groupe de travail sur le foncier, Habitat pour l’Humanité mène une stratégie importante de sensibilisation, d’information et de formation de la population. Trois manuels sont déjà produits sur l’accès au foncier : sur les transactions foncières en Haïti, sur la sécurisation des biens fonciers, et sur la succession et libéralité en vue de faciliter la résolution de conflits. Ce projet en place depuis 2016 commence à atteindre la population par la voie de formations décentralisées répondant ainsi à un besoin criant.  

La structure nationale chargée de promouvoir et de faire progresser l’égalité entre les femmes et les hommes est le Ministère à la Condition Féminine et aux Droits des Femmes (MCFDF), créé en 1994 sous la pression d’organisations de femmes. En 2017, le MCFDF a présenté sa politique d’égalité femmes-hommes (ÉFH) et un plan d’action sur 10 ans. La politique ÉFH vise à « éliminer toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ; promouvoir et veiller au respect de l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines d’action ; renforcer le pouvoir d’action des femmes.32  Le MCFDF a signé un accord avec la FAO en juillet 2017 visant à renforcer les capacités des femmes rurales et à consolider leurs droits. Dans le cadre de cet accord, les deux institutions travaillent conjointement pour institutionnaliser l’approche d’équité de genre dans la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Il n’y a actuellement pas d’intervention auprès des femmes dans le foncier.  

Parmi les institutions publiques, l’Institut National de la Réforme Agraire (INARA) a pour mission de favoriser et de protéger la formation d’unités familiales d’exploitation paysanne et de combattre les grandes exploitations absentéistes33 L’Institut mène le plaidoyer pour la récupération et la valorisation des terres de l’État et milite contre le mitage des terres agricoles.34  Il a ainsi contribué à la mise à disposition des terres du domaine privé de l’État au profit d’organisations de femmes comme la SOFA et l’organisation de femmes de Marthe Péralte à Thomassique. L’INARA a aussi mis certaines terres en conflits dans l’Artibonite à la disposition des unités paysannes familiales à des fins d’exploitations agricoles. Ces actions ont pour but de contribuer à la création de richesse par les femmes. 

Depuis 2012, Le Comité interministériel d’Aménagement du territoire (CIAT) met en œuvre un programme pilote de sécurisation foncière en milieu rural en Haïti qui a pour but de créer une sécurité foncière pouvant encourager et faciliter les investissements à moyen et long terme dans l’agriculture et la gestion durable des terres et des ressources naturelles. L’un des objectifs est d’assurer la diffusion d’information sur la méthode et les procédures du plan foncier de base auprès des acteurs nationaux et locaux du foncier. 

L’Office de protection des citoyens (OPC) défend les personnes victimes d’abus de la part des autorités, et ainsi s’implique parfois dans les procédures liées aux conflits fonciers. Il mène un plaidoyer pour le respect des droits des victimes, notamment des femmes. À partir de plaintes d’abus par les autorités portées à sa connaissance par les victimes et documentées, l’institution réalise des enquêtes et réclame justice pour les victimes. Il joue le rôle de pont entre la société et l’État.  

Parmi les organismes de financement, le Canada a fait de sa politique d’aide internationale de 2016 un outil d’avancement des droits des femmes, visant à « favoriser l’égalité des genres et le renforcement du pouvoir des femmes et des filles, comme moyen le plus efficace de réduire la pauvreté et de bâtir un monde plus inclusif, plus pacifique et plus prospère »35. Le Canada appuie surtout par cette politique les initiatives au renforcement du pouvoir des femmes et des filles les plus susceptibles de réduire les inégalités de genre.

Parmi les organisations internationales appuyant le foncier, la Banque interaméricaine de développement (BID) a une politique organisationnelle qui fait la promotion de l’égalité de genre et du renforcement des capacités des femmes dans ses interventions. Quant aux agences de Nations Unies, ONU Femmes promeut l’autonomisation et l’accès des femmes aux ressources, et produit de valables analyses sur l’état d’avancement de l’égalité dans les pays membres.

7. Analyse de la problématique Genre et foncier en Haïti 

7.1 Contexte résidentiel des communes ciblées

La majorité de ceux et celles qui ont participé aux groupes de discussions à Camp-Perrin sont originaires de l’endroit. Celles provenant d’ailleurs ont généralement suivi leurs parents quand elles étaient fillettes ou leurs conjoints après leur mariage ou leur plaçage.  Plusieurs femmes, surtout au niveau de la 3ème section ont vu leur maison détruite par l’ouragan Matthew, leurs plantations ravagées et leur bétail emporté par les eaux. Elles peinent à se relever et à reconstruire leur maison. Quelque soit leur statut matrimonial, il y a peu de locataires : la majorité des femmes en union sont propriétaires ou co-propriétaires de leur résidence, surtout celles qui vivent dans les sections communales. Les superficies des parcelles individuelles sont petites, de 2/16 à 7/16 de carreau (1 carreau = 1ha28). Les terres dans l’indivision sont de plus grandes parcelles non formellement partagées, mais exploitées ou habitées par plusieurs héritiers. 

Selon les données relevées par le CIAT au niveau de Camp-Perrin en 2017, 26% des parcelles ont des femmes comme propriétaires37. Il semblerait que les femmes achèteraient plus volontiers une parcelle pour y construire une maison que plusieurs parcelles agricoles, tandis que les hommes sont plus enclins à augmenter la surface de leur exploitation agricole37.

Au niveau de Bas Peu de Choses, en milieu urbain, près de la moitié des participantes des groupes de discussions étaient des propriétaires originaires de divers endroits. Des femmes n’ont pas pu reconstruire leur maison après le tremblement de terre de 2010 et ont dû aller vivre dans les quartiers moins sécures. D’autres ont dû vendre leurs propriétés et certaines logent encore dans des maisons endommagées.

La majorité des femmes rencontrées à Bas Peu de Choses sont mariées et co-propriétaires de leur résidence. Près d’un quart sont cheffes de ménages et locataires gardant espoir d’avoir à nouveau une propriété bâtie. Les superficies des propriétés bâties sont assez modestes. Seulement deux cas de propriété bâtie sont encore dans l’indivision. Aucune propriété de parcelle agricole n’a été mentionnée par les femmes; plus de la moitié d’entre elles s’adonnent au commerce (souvent pratiqué dans une partie de la maison).

7.2 Modalités d’accès à la propriété foncière par les femmes

Les femmes rurales accèdent aux propriétés par achat ou succession. Les acquisitions au niveau du foncier se font en utilisant des revenus provenant du commerce, de la vente de gros bétail et des contributions de parents à l’étranger. Lorsqu’il s’agit d’acquérir un bien, la prise de décision au niveau des ménages en union se fait en couple. Même si la femme est porteuse du projet d’achat, elle préfère que ce soit l’homme qui se présente, négocie et réalise la transaction. Pour celles qui sont en union libre, surtout quand l’homme ne vit pas sous le même toit, l’acquisition d’une propriété est faite au nom de la femme ou de celui de leur enfant si l’homme est lié à une autre femme par le mariage. Il arrive qu’un homme vivant dans le plaçage avec une femme achète ou déclare une propriété uniquement en son nom, ce qui a pour conséquence qu’advenant une séparation, la femme ne peut réclamer une partie du bien même s’il s’agit de leur résidence principale. Dans quelques cas, les femmes contribuent à l’achat de la propriété et la construction de la maison.

Toutes les femmes de Camp-Perrin rencontrées s’adonnent à l’agriculture, même celles qui habitent au centre-ville. Pour la plupart, elles ont hérité de leurs parents l’une des parcelles agricoles qu’elles exploitent. Certaines ont les moyens d’acheter conjointement avec leurs maris d’autres parcelles mais ceci est peu courant à cause des faibles revenus des ménages. Les acquisitions de propriétés pour résidence sont surtout au centre-ville de Camp-Perrin ou dans les zones avoisinantes. Par contre, elles prennent volontiers en fermage ou en métayage d’autres parcelles dans le but d’avoir plus de surface de production.  En métayage, en termes de redevance, l’exploitante donne alors un tiers de la récolte au concessionnaire. 

Quelques femmes se disent « sous-fermiers de l’État » (Catiche) parce que le contrat de fermage avec la DGI est au nom de tiers qui ne peuvent payer de redevances ou ont égaré les documents les liant avec l’État. On a cité le cas d’un grand propriétaire homme d’affaires des Cayes qui met gratuitement ses propriétés à la disposition de 6 exploitants/es (homme et femmes), faisant une rotation chaque année pour faire bénéficier le plus d’exploitants/es possible.

En milieu rural, peu de femmes ont acquis des parcelles agricoles par achat. A Camp-Perrin, les femmes acheteuses sont en croissance dans la 1ère section communale tandis que les hommes sont en majorité dans les autres sections.  Les parcelles exploitées par les femmes ont souvent le statut de terres mineures, c’est-à-dire une terre divisée selon les règles coutumières et dont des lots sont attribués à chacun des héritiers/ères38. Les terres en indivision sont surtout au niveau de la 2ème et 3ème section de Camp-Perrin. Même quand elles apportent leur contribution aux parcelles agricoles exploitées par leurs conjoints, elles investissent davantage de temps et de fonds propres dans ces parcelles parce qu’elles en conservent encore les pleins droits. 

Très peu de femmes parmi les groupes de discussion se disaient victimes d’iniquité au moment du partage de la succession de leurs parents. Elles reconnaissent toutefois que le partage donne lieu à de vives frictions entres héritiers. Chacun veut avoir les propriétés les plus accessibles, à vocation agricole les plus proches des canaux d’irrigation : les cohéritiers ne sont pas toujours satisfaits des portions qui leur sont attribuées, mais les recours juridiques sont très rares. 

Les femmes font face aux obstacles tels le manque de moyens financiers pour acheter des terres, démarrer ou finaliser la procédure de sécurisation des biens acquis ou hérités; l’absence ou le désintéressement des cohéritiers (surtout ceux qui vivent à l’étranger); la monopolisation du titre principal par un cohéritier;  la perte du titre durant une inondation ou des actes de vandalisme (incendie du bureau de la DGI des Cayes); la durée de livraison des actes; le non-respect par les arpenteurs des procédures prévues par la loi (présence des héritiers, citation des voisins, abstention à l’arpentage en cas d’opposition). 

Surtout à cause du coût jugé prohibitif du partage, il y a beaucoup plus d’indivision des propriétés dans les sections communales.  Chaque héritier quelle que soit la superficie de la propriété doit payer à l’arpenteur et au notaire des honoraires qui dépassent dans certains cas le prix de la vente de la portion qui leur revient. 
Les propriétés acquises par achat en milieu rural sont arpentées dans la majorité des cas. Cependant, certains procès-verbaux sont encore chez les arpenteurs par manquement à payer la balance des frais dus. Très peu de femmes évoquent l’idée de poursuivre la procédure jusqu’au notaire, estimant que les coûts imposés par les notaires sont plus exorbitants que ceux des arpenteurs qui sont fixes.

À Bas Peu de Choses, en contraste, les femmes qui ont acheté une propriété connaissent mieux les directives et les procédures légales à suivre. Les femmes de Bas Peu de Choses ont un certain niveau d’information sur leurs droits en matière foncière et en cas de transfert de propriété. D’ailleurs, l’achat de propriété est le mode le plus courant d’acquisition, rendu possible par les revenus de commerce, salaire, emprunts bancaires et transferts de la diaspora. Après accord entre vendeur et acheteur, les intéressées font appel à un arpenteur pour mesurer la superficie de la propriété, puis au notaire pour les titres. Les frais à payer au notaire sont parfois réduits d’un commun accord entre vendeur et acheteur en ne déclarant pas la pleine valeur de la transaction, afin d’économiser les coûts.  

Outre ce dernier point, en matière de sécurisation de biens fonciers, il n’y a pas de stratégies particulières utilisées par les femmes : elles suivent tout simplement les procédures ou se font assister par un proche qui a déjà acquis ou vendu un bien. Elles se font rarement assister par un homme de loi, afin d’économiser les honoraires.  Celles qui sont mariées laissent dans certains cas leurs époux s’occuper des procédures avec les arpenteurs et les notaires tandis que celles qui sont en union libre ou cheffes de ménages s’occupent elles-mêmes des procédures jusqu’à leur aboutissement. 

Par souci de contribuer au mieux-être égal de tous leurs enfants, certains hommes mariés qui ont un enfant adultérin achètent souvent les biens au nom de l’enfant puisqu’avant la publication de la loi sur la paternité, la maternité et la filiation, l’enfant adultérin ne portait pas le nom de son père et ne pouvait réclamer sa part à la succession. 

7.3 Rapports avec les professionnels du foncier

Camp-Perrin, dans la juridiction des Cayes, dispose de trois (3) arpenteurs et deux (2) notaires commissionnés. Parce qu’ils se rendent sur les propriétés pour prendre les mesures et poser les bornes, les arpenteurs sont plus connus que les notaires. Les jours de marché favorisent les rencontres entre clients et arpenteurs ou notaires en milieu rural.  Bien qu’il y ait plus d’hommes que de femmes à se présenter dans les bureaux des arpenteurs et des notaires, ce sont le plus souvent des couples mariés et les transactions sont surtout faites au nom du couple. Les clients célibataires sont surtout des hommes.

Les hypothèques sont rares dans la juridiction des Cayes surtout après la destruction des archives du bureau la DGI en 2012. On trouve des placements (contrats de prêts) mais les notaires n’enregistrent pas les titres.

L’arpentage est perçu comme un acte pouvant entrainer des scènes de violence et même des menaces de mort entre les cohéritiers/ères surtout quand l’indivision a traversé plusieurs générations. Sur le plan sécuritaire, les arpenteurs se font souvent accompagner de policiers et même d’un juge de paix et les femmes d’un homme (conjoint, fils, frère, cousin) pour garantir leur protection physique en cas de violences. Le tarif légal de l’arpentage est de 75G. Sur la base que la loi est désuète, les arpenteurs ont modifié unilatéralement le barème, qui varie d’une localité à une autre selon l’éloignement (plus distant étant plus coûteux). Les ménages sont réticents à payer le tarif demandé et plus encore ceux qui ont un faible niveau d’instruction. Entre autres causes d’insécurité foncière, l’augmentation des frais d’arpentage constitue un frein au partage et à la sécurisation des biens par les femmes. En milieu rural, ce sont en général les institutions comme l’église, les établissements scolaires, les centres commerciaux qui suivent les procédures légales pour la sécurisation des biens. Les propriétés privées demeurent plus souvent dans l’informel (non arpentées, sans titres), les transactions étant conclues par entente verbale ou avec un simple reçu. L’arpentage formel se fait quand il y a intégration d’autres personnes dans la famille ou pour cause de nuisance des voisins. Sinon, acheteurs, vendeurs et héritiers se transforment en opérateurs pour le placement des bornes. Au moment d’une transaction, l’acquéreur/e doit débourser 12,500 G au moins pour un acte d’arpentage au centre-ville et au niveau de la 1ère section; 7,500 G dans les deux autres sections communales de Camp-Perrin. Ceci est très élevé pour les paysans démunis. 

Tous les concernés, femmes et hommes sont présents au moment du partage de la succession. L’arpenteur joue un rôle de conciliateur en cas de discussions durant l’arpentage. Les discussions sont centrées sur l’occupation préalable d’une parcelle et sa valeur. Dans ce cas-ci encore, les femmes se font souvent accompagner d’un homme (conjoint, fils ou autre) pour les aider à comprendre le processus d’arpentage. Un homme est souvent en avant-plan soit parce que c’est l’aîné ou le benjamin. Les femmes sont parfois sans voix dans le processus et victimes. Toutefois, il arrive paradoxalement mais rarement que, pour faciliter l’accès géographique, on attribue aux femmes les propriétés enviées qui sont à proximité des maisons ou en plaine.

Il est rare que les acheteurs et les héritiers se rendent jusqu’au notaire car on ne veut pas dépenser pour des procédures qui ne rapporteront pas immédiatement. Les acheteurs pensent que de faire notarier la propriété augmente le prix de revient tandis que le vendeur croit qu’il lui restera moins d’argent de la vente. On paie généralement par versements aussi bien pour les notaires et que pour les arpenteurs. Les acquéreurs s’intéressent peu au contenu de l’acte, pourvu que leurs noms et la superficie y apparaissent. 

Un nombre important de femmes ayant participé aux groupes de discussion se pensent parfois victimes de surfacturation de la part des arpenteurs et des notaires. Elles témoignent être souvent agressées verbalement par les policiers, les avocats et les juges de paix durant les constats, les arpentages et les procès aux tribunaux de paix, et même menacées d’emprisonnement. Alors que la loi leur donne le droit de faire opposition à un acte d’arpentage quand leurs droits sont lésés, il arrive que les policiers accompagnant les arpenteurs ou appelés sur les sites en arpentage les bousculent et les menacent si elles n’obtempèrent pas. 

Les femmes estiment que les arpenteurs et les notaires prennent beaucoup de temps avant de leur livrer les procès-verbaux d’arpentage et les titres de propriété. Selon ces derniers, la durée de la procédure ne dépend pas uniquement d’eux car elle est complexe. Il faut faire une requête au doyen qui doit être approuvée par le commissaire du gouvernement. A cet égard, certains arpenteurs ne respectent pas le processus légal et réalisent l’arpentage sans attendre l’ordonnance du doyen. 

L’une des parties est parfois dans l’incapacité de fournir les pièces exigées (carte d’identité, mandat des cohéritiers absents, acte de notoriété publique, actes de naissance). Il y a finalement l’épineuse question du paiement. Le plus souvent, un paiement partiel est fait et lorsque les bornes sont placées, les intéressées peuvent revenir des mois et même une année plus tard pour procéder au dernier paiement, réclamer le plan et le procès-verbal d’arpentage.  Les femmes estiment que c’est beaucoup d’argent à remettre en une seule tranche. De plus, si elles paient la totalité, il y des risques que les arpenteurs ne finissent pas le travail. 

Le délai de livraison des actes, procès-verbaux d’arpentage et titres de propriété, peut varier de 3 semaines à 6 mois et dans des cas extrêmes jusqu’à 3 ans. Au niveau de l’enregistrement, on témoigne que la DGI met beaucoup de temps à faire l’enregistrement et la transcription. Même le récépissé pour procéder à un arpentage n’est pas rapide à obtenir dans certaines régions. Selon les officiers ministériels et les clients, même quand on paye un surplus à la DGI pour transcription d’urgence, le processus n’est pas nécessairement plus rapide. 

En milieu urbain, il existe plusieurs notaires et arpenteurs, surtout à Port-au-Prince, et les femmes ont le choix d’utiliser qui elles veulent. Toutefois, il est ressorti que peu de femmes se présentent dans les études des notaires. Les officiers ministériels constatent que les transactions se font surtout par des gens en couple (mariés) et que ce sont les hommes qui les réalisent. 

L’acquéreur doit débourser 20,000 G au minimum pour un arpentage en ville.  Les notaires réclament de l’acheteur 10% du prix de la propriété en question et du vendeur 10% des 75% des bénéfices réalisés à partir de cette vente. Contrairement à Camp-Perrin, les femmes de Bas Peu de Choses ne considèrent pas les tarifs des arpenteurs et des notaires abusifs. Elles paient comptant ou par versements pour les services qu’elles choisissent.  On peut en déduire que les femmes en milieu urbain qui ont les moyens d’avoir des propriétés ont aussi les moyens d’en assurer la sécurisation, ce qui n’est généralement pas le cas à Camp-Perrin.  

7.4 Mode de sécurisation des biens fonciers

Tel que mentionné, la majorité des femmes comme des hommes à Camp-Perrin se contentent de l’arpentage. Les preuves d’achat dont disposent les femmes sont souvent les actes mêmes d’arpentage. On fait faire la délimitation de la propriété et la pose des bornes par l’arpenteur, se souciant peu parfois même des procès-verbaux. On constate que ce sont les gens plus avisés et mieux renseignés, vivant au centre-ville ou à proximité qui vont jusqu’à passer leurs transactions chez un notaire. Peu de femmes ont une preuve documentée de leur statut de propriétaire sauf au centre-ville et dans les zones des 1ère et 2ème sections où elles ont au moins les procès-verbaux d’arpentage, des reçus d’achat et dans certains cas, le certificat délivré par le CIAT. 

Suite au recensement des propriétés à Camp-Perrin en septembre 2017, le CIAT a délivré des attestations individuelles pour les parcelles qui sont déjà partagées et qui ne font pas l’objet de conflits. Le certificat d’attestation est fait au nom duquel se trouve le titre principal. Nombreuses sont les femmes qui attendent cette attestation de CIAT pour confirmer leur droit de propriété.  

Les biens fonciers acquis par héritage posent plus de problèmes, car il arrive que les héritiers s’accaparent la terre au détriment des héritières. Les titres de propriété ne sont pas émis en grande partie à cause des frais de sécurisation (coût de l’arpentage, coût du notaire). Certains officiers ministériels utilisent les avances sur les frais procéduraux à d’autres fins et sont incapables de livrer les actes tel que convenu parce que les procédures d’enregistrement et de leur transcription au niveau de la DGI n’ont jamais été initiées. Souvent, même les procès-verbaux ne sont pas rédigés. C’est pourquoi on résiste à payer la totalité des frais à l’avance : la base de confiance requise n’y est pas. Il arrive même que par négligence ou suite à de longs délais dans le traitement du dossier, les titres mères déposés soient égarés. 

Le faible niveau d’éducation des femmes et le manque d’information sur les procédures d’acquisition et de mutation des biens constituent des obstacles majeurs à la sécurisation des biens fonciers. Le processus d’enregistrement et de retranscription des actes à la DGI est complexe et surtout très long. Même lorsque complétés, les registres ne sont pas conservés dans de bonnes conditions. Ils se détériorent par l’humidité et les sinistres et sont mal organisés, ce qui contribue sensiblement au peu de confiance des propriétaires quant à la validité du travail et à l’insécurité foncière aussi bien pour les femmes que pour les hommes. 

Dans le cas des biens en indivision, les actes (procès-verbaux d’arpentage et titres de propriété) sont le plus souvent détenus par les ainés de famille : un grand frère, des demi-frères et sœurs, des oncles et tantes, des grands cousins/es. Pour les acquisitions par les couples mariés, les titres sont le plus souvent gardés par le conjoint. Pour les femmes en union libre, cela dépend si l’acquisition est conjointe ou individuelle. Chaque acquéreur peut décider de les garder. Mais dans la plupart des cas, les titres sont avec les arpenteurs et notaires à cause d’une balance impayée ou d’un délai dans la complétion des procès-verbaux et titres.

Que ce soit en milieu rural ou urbain, certaines femmes mariées dont les conjoints ont des enfants d’autres unions achètent des propriétés au nom de leurs enfants, afin de sécuriser leurs biens. Dans le cas des propriétés reçues par héritage, la majorité des femmes tiennent à les conserver sauf en cas de maladie, de mortalité d’un parent, de construction dans une autre zone, ou d’opportunités nécessitant des fonds. 

Au niveau de la propriété, les femmes en union libre sont souvent les plus défavorisées car il arrive que les hommes dans de telles unions achètent les biens uniquement en leur nom. De fait, dans ces types d’unions, certains hommes achètent des biens à l’insu de leurs conjointes et/ou refusent catégoriquement de mettre les deux noms sur les actes.  Face à des expériences vécues par de nombreuses femmes, on voit maintenant parmi des femmes qui délèguent les transactions aux hommes, certaines qui prennent discrètement le soin de se renseigner auprès des officiers ministériels à savoir si leurs noms figurent au niveau des actes. En cas de séparation d’un couple en union libre, la femme ne peut alors rien réclamer.

7.5 Procédure d’enregistrement des pièces.

L’enregistrement (la mention des principales dispositions d'un acte sur les registres publics tenus à cet effet39)  et la transcription (formalité qui consiste à recopier totalement l'acte sur le registre officiel prévu à cet effet à la DECF) des procès-verbaux d’arpentage se font dans le bureau de la DGI de la commune de Camp-Perrin. L’enregistrement des actes notariés se fait dans la commune mais la transcription doit se faire aux Cayes.

Le bureau de Camp-Perrin peut faire jusqu’à 10 enregistrements par jour (résumé de l’acte) tandis que la transcription contient tout le contenu de l’acte. Généralement, la DGI remet l’acte après deux (2) ou trois (3) jours. La DGI n’a aucun droit de regard sur la qualité des actes et ne joue qu’un rôle de taxation et d’enregistrement. Dans la majorité des cas, le personnel de la DGI ne peut pas interpréter la nature des actes.

Le barème (taux d’imposition) ne constitue pas un obstacle à l’enregistrement pourvu que la transaction soit réalisée. En 2018, le coût du récépissé pour l’enregistrement d’un acte d’arpentage était de 43,80 G et l’écriture était de 54,80 G tandis que pour l’enregistrement d’un acte notarié, le coût dépend du montant de la vente ou de la plus-value de la mutation. Le montant à payer dépend de l’estimation de l’agent fiscal (nombre de pages, nombre de lignes par page et des taxes prévues à cet effet). L’enregistrement et la transcription s’élèvent à 4% en plus des autres taxes. La transcription en vertu de la loi de 1975 coûte 12 G pour 26 lignes. En dehors des frais d’enregistrement et de transcription, d’autres frais sont réclamés par la DGI, c’est le cas de la taxe sur le chiffre d’affaires (TCA) qui est payée par l’acquéreur. Le vendeur ou la vendeuse paie aussi la TCA et les frais de mutation en cas de plus-value. Les procès-verbaux du recensement des propriétés réalisés par CIAT sont enregistrés et transcrits dans les registres de la DGI pour Camp-Perrin situé aux Cayes, et transmis ensuite à la DECF de Port-au-Prince.  

En milieu urbain de Port-au-Prince, les arpenteurs et les notaires font l’enregistrement et la transcription des actes à la DGI de Port-au-Prince. Une fois le dossier complété, la procédure d’enregistrement et la transcription des actes à la DGI semblent être les principales causes de retard. Le délai de livraison des actes (procès-verbaux d’arpentage et titres de propriété) est long. Malgré le paiement de frais pour traitement d’urgence, la durée peut varier parfois de 3 à 6 mois.

7.6 Les conflits terriens 

Les conflits terriens qui sont rares dans la commune de Camp-Perrin concernent aussi bien les femmes que les hommes : ils concernent des déplacements de bornes par des voisins ou d’autres héritiers, l’empiètement sur les lisières et la non-reconnaissance de vente par un cohéritier. Toutefois, de 1966 à 1987, la 3ème section rurale de Camp-Perrin a connu deux conflits majeurs entre 2 groupes d’héritiers de l’habitation Rey. Les droits des exploitants ont été remis en question 88 années après que l’arpentage ait lieu et des scènes de violence s’en suivirent40. 

Camp-Perrin n’a qu’une juridiction de paix. Les recours se font d’abord au niveau du tribunal de paix, dans certains cas au parquet et enfin au niveau du tribunal civil de première instance aux Cayes. Les cabinets d’avocats se trouvent également aux Cayes. Très peu de recours utilisent un avocat à cause des moyens financiers des ménages, de la localisation des cabinets d’avocat, des coûts exorbitants des services (entre 20 à 30% du coût estimatif des propriétés en conflits) et de la durée des procès. 

En matière de conflits fonciers, les tribunaux de paix gèrent les troubles de possession. Les juges agissent comme médiateurs encourageant les parties concernées à trouver une solution à l’amiable. Les tribunaux civils s’occupent des troubles pétitoires (action visant à faire reconnaitre ses droits à partir d’un acte foncier), mais la procédure est longue et coûteuse et la majorité des procès engagés sont abandonnés en cours de route. 

Le nombre de femmes et d’hommes instruits est en augmentation à Camp-Perrin et les distinctions entre les 2 sexes sont minimes. Malgré le niveau d’instruction, peu de personnes savent que les transactions légales doivent se faire auprès d’un notaire. Les acheteurs et ceux et celles impliqués dans les mutations de propriété ne connaissent pas ou peu les directives et les procédures légales à suivre, et les droits en matière de foncier.  Il n’y a pas de structures ni d’institutions publiques qui accompagnent les femmes dans le processus de sécurisation des biens fonciers et il y a peu d’information disséminée.  C’est au cours du recensement des propriétés réalisé par le CIAT que la population a été renseignée sur le foncier et ses exigences. Au niveau de la qualité de service, les femmes monoparentales s’estiment traitées avec moins de diligence par les autorités dans leurs requêtes parce qu’elles vivent sans conjoint; il semble que celles qui sont en couple sont mieux respectées et traitées. 

La jouissance des propriétés bâties semble relativement paisible à Bas Peu de Choses. Aucun cas de litige n’a été relaté parmi les participantes. Parmi les femmes consultées, une seule a relaté que son ex-époux avait tenté d’usurper ses droits à la propriété en mettant tous leurs biens uniquement en son nom et tenté de vendre la maison conjugale à son insu au moment de leur séparation. Très peu de propriétés acquises à Bas Peu de Choses ne disposent pas de titre de propriétés au nom de leurs occupants. 

Si pour Camp-Perrin, c’est le coût qui est la première cause de l’indivision, à Bas Peu de Choses c’est la maison elle-même, bien que le coût soit aussi soulevé par plusieurs. Diverses situations se présentent justifiant le maintien de l’indivision : les parents décédés n’ont laissé qu’une seule maison pour leurs descendants; des groupes de cohéritiers (frères et sœurs) partagent pacifiquement les espaces d’une même maison et continuent à payer les impôts au nom de leurs parents décédés; les cohéritiers vivant à l’étranger n’ont pas encore évoqué le partage de la succession; un cohéritier (le plus souvent l’aîné) détient le titre principal; les héritiers ne peuvent retrouver le titre mère; enfin le  désintéressement de certains cohéritiers à contribuer aux frais procéduraux surtout ceux vivant à l’étranger. 

7.7 Rôle des organisations communautaires 

A Camp-Perrin, les organisations de femmes des sections communales ont peu de partenariats avec d’autres organisations. MP3K, une organisation paysanne intervenant dans la 3ème section communale, dans le développement social, culturel et politique, a mis en place un regroupement de femmes comptant 200 membres (AFAR). Pour sa part l’organisation pour la réhabilitation de l’environnement (ORE) est une organisation qui travaille avec des groupes de femmes dans le domaine agricole dans plusieurs communes du département du Sud sans toutefois cibler le foncier.

Les champs d’interventions de MP3K sont l’appui au paiement des frais scolaires, la réhabilitation des maisons endommagées après l’ouragan Matthew, la conscientisation des membres sur la gouvernance éclairée. L’organisation est aussi impliquée dans un projet d’élevage caprin aux bénéfices des femmes et gère une caisse d’épargne et de crédit : CODEGRASS (collectif de développement pour le grand Sud). 

ORE, implantée à Camp-Perrin depuis 1985, intervient dans la protection de l’environnement, l’agriculture et l’agribusiness. Les interventions qui ciblent directement les femmes sont le stockage de grains (maïs, petit mil, haricot) pour la commercialisation. Elle appuie à 99% les femmes des zones reculées. Le stockage en période de récolte permet aux femmes de revendre à haut prix hors saison. Plusieurs participantes ont ainsi pu drastiquement augmenter leurs revenus. 
En milieu urbain, plus de la moitié des femmes rencontrées à Bas Peu de Choses ne sont pas membres d’organisations de femmes. Elles participent pourtant dans les collectifs d’épargne qui leur donnent accès à des montants supérieurs à ce qu’elles ont individuellement. 

Les femmes du milieu urbain et celles du milieu rural qui n’ont pas été contactées par le programme de sécurité foncière (CIAT) n’ont pas bénéficié de formation ni de sensibilisation quelconque sur le foncier. À date, la plupart ne connaissent pas les institutions et organisations qui font ces interventions. Elles sont toutefois au courant des institutions et organisations qui peuvent les accompagner en cas de violences conjugales et/ou sexuelles et leurs informations sur les recours en cas de violation de leurs droits de propriété viennent essentiellement de bouche à oreille et des cas de telles violations fréquemment couvertes par les médias. 

En conclusion, il y a très peu d’appui dans les organisations communautaires et organismes de la société civile qui interviennent présentement en appui à la sécurisation foncière. Un travail de sensibilisation à la base pourrait cependant être très utile si certains des organismes travaillant auprès de membres qui ont autrement peu de sources d’accès à l’information et d’appui de confiance avaient les moyens et l’information pertinente pour agir en ce domaine.  

7.8 Sources de financement

Vu les difficultés qu’ont les femmes au niveau de Camp-Perrin à entrer dans le marché formel de l’emploi, la majorité s’activent dans l’agriculture et le secteur informel dominé par le petit commerce. Elles font des emprunts dans les caisses populaires pour l’exploitation de leurs propriétés notamment pour l’achat d’intrants agricoles, de petit bétail et le commerce en détail. Très peu empruntent pour l’aboutissement du processus de sécurisation foncière.

Il existe au moins 2 coopératives d’épargne et de crédit à Camp-Perrin (CAPOSAC, CAPECC) et plusieurs institutions de micro-financement : ACME, Fonkoze, FINCA, SOGESOL, Micro crédit national, Meca, BCA.  

En septembre 2018, CAPOSAC desservait 4,110 clients dont 31% de femmes et CAPECC 113 clients dont 43 femmes. Le portefeuille de crédit de CAPOSAC a été estimé à 364 millions de gourdes de crédit dont 28% allouées aux femmes tandis que CAPECC a été estimé à 5 millions de gourdes de crédit dont 3,938 G allouées aux hommes (67%) et 1,908,000 G allouées aux femmes (33%). Ces deux institutions accordent entre 2500 G à 500,000 G de prêts. Les coopératives ne font pas de discrimination sur la base du genre mais les hommes sollicitent et obtiennent des montants plus importants que les femmes parce que, selon les répondants des institutions, « leurs activités nécessitent de plus gros déboursés »41. 

Les moyens financiers déterminent l’accès au logement ainsi qu’à la propriété, et le capital foncier provient surtout de l’héritage et de l’achat. La quantité de terre provenant d’héritage est de plus en plus restreint, et une minorité de ménages disposent de moyens financiers pour l’achat d’une nouvelle propriété. Certains ménages bénéficient de prêts des caisses populaires s’ils ont des garanties collatérales. Toutefois, très peu de caisses offrent du crédit de logement et les montants accordés rencontrent rarement les besoins d’investissement.

À Port-au-Prince, le financement du foncier est surtout assuré par les épargnes des ménages et les prêts des six (6) banques commerciales haïtiennes (UNIBANK, SOGEBANK, BUH, Capital Bank, BNC, BPH), une banque de logement (SOGEBEL), trois (3) institutions financières de développement (FDI, SOFIHDES et Ayiti Leasing), près de deux cents (200) institutions/unités formelles de microfinance et le programme de prêts hypothécaires (ONA). 

Le crédit logement des institutions financières est assez limité mais tend à augmenter depuis le 12 janvier 2010. Après le séisme, le gouverneur de la Banque de la République d'Haïti (BRH) avait enjoint les banques commerciales et banques d’épargne et de crédit à réduire le coût du crédit au logement en échange d’exonération du calcul de réserves obligatoires sur les ressources en gourdes.42 Ceci visait à favoriser la reconstruction et la réparation d’immeubles résidentiels et à faciliter l’accès à la propriété privée. On a donc subséquemment assisté à une augmentation de l’offre de crédit par plusieurs banques commerciales privées et gouvernementales ainsi que dans les institutions de microfinance:

  • La Société Générale Haïtienne de Banque d’Épargne et de Logement (SOGEBEL), offre des prêts en G et en dollars américains ($US) remboursables sur 15 ans en $ US et 20 ans en G; 
  • La Banque de l’Union Haïtienne (BUH) a mis en œuvre le plan d’épargne logement (PEL);
  • Le Capital Bank à travers Capital Logement offre de financer la construction ou l’amélioration de résidence principale, l’acquisition ou l’aménagement de propriété résidentielle; 
  • La UNIBANK offre un prêt hypothécaire jusqu’à 70% du coût total du projet à des taux de 8.2 % l’an, pour l’acquisition de terrain ou d’une maison résidentielle, la construction, la rénovation, la restauration, l’aménagement, le refinancement d’une propriété, ou autres projets à des fins non résidentielles. Les prêts en gourdes et en dollars américains sont sur 20 ans maximum; 
  • La Banque Nationale de Crédit (BNC) et la Banque Populaire Haïtienne (BPH), deux banques commerciales gouvernementales ont créé, en 2011, le programme « Kay Pa’m (Ma maison) », un programme de prêt au logement avec un taux d’intérêt fixe de 8% pendant 10 ans. Le financement à hauteur de 85% du coût du logement et remboursable sur 20 à 30 ans vise à faciliter l’accès à la propriété privée, à la construction ou la réparation d’immeubles résidentiels. Le programme cible les agents de la fonction publique, les employés du secteur privé, les catégories socioprofessionnelles et toute autre catégorie répondant aux conditions d’éligibilité. Ce public cible exclut donc en majorité les femmes paysannes et celles du secteur informel.
  • Le gouvernement haïtien s’est également impliqué dans la promotion du financement du logement après le séisme. En 2016, un programme de prêt au logement a été créé en faveur des agents de la fonction publique. Dans ce projet pilote proposé par le Ministère des Finances, la limite maximale de crédit accordé est de cinq millions de gourdes, à un taux d'intérêt de 6% l'an, remboursable sur 15 ans par prélèvements mensuels sur les salaires. Le prêt exclusivement à la construction, à la rénovation ou à l'acquisition de résidence est financé par les ressources du fonds de pension des agents publics et garantit le bien immobilier en cause.
  • Outre le prêt sur cotisations par le biais du prêt hypothécaire, l’Office National d’Assurance-Vieillesse (ONA) offre aux assurés la possibilité d’acquérir un terrain ou une maison, d’agrandir, d’aménager ou de construire leur maison ou de l’immobilier.  L’assuré bénéficie d’un financement jusqu’à 70% du coût du bien suivant le cas et d’un délai de remboursement jusqu’à 30 mois.
  • En 1983, la Fondation Haïtienne d'Aide à la Femme (FHAF) a mis en place un programme de crédit avec le soutien d'une institution internationale, la Women's World Banking et l'Inter-American Foundation. L’objectif de ce programme était d'accorder du crédit aux femmes commerçantes de la Capitale, grâce au support de ces 2 organismes internationaux. Soixante-quinze pourcent (75 %) du portefeuille de crédit de la FAF est attribué aux femmes et vingt-cinq pourcent (25%) aux hommes.
  • Un autre mécanisme de crédit spécifique pour les femmes, ONAFAM, a été mis en place par le gouvernement et deux cent femmes en sont bénéficiaires à date. Il semble que la proximité avec des parlementaires ou proches du pouvoir en place influence l’accès aux prêts. Si tel est le cas, ce mécanisme ne serait pas à la portée de toutes. 

7.9 Les femmes et l’accès au crédit

L’accès aux prêts et au crédit n’est pas véritablement égalitaire pour les femmes car plusieurs conditions mises en place par les institutions financières leur sont défavorables. S’il est admis que les institutions financières ne font aucune discrimination d’emblée entre les hommes et les femmes dans leur offre de services et leurs critères d’éligibilité, en termes d’accès au crédit, la disparité est réelle. Les prêts ne sont accordés qu’aux femmes et aux hommes qui démontrent une certaine culture d’épargne et une bonne capacité de remboursement et des garanties le cas échéant. À cet égard, force est de constater que plusieurs aspects sont particulièrement défavorables aux femmes, soit : les conditions de prêt tant au niveau du statut socio-économique des emprunteurs qu’au niveau des processus d’éligibilité; les types de prêts disponibles; et les modalités de remboursement et taux d’intérêt. 
7.9.1 Statut socio-économique

Très peu de femmes de Camp-Perrin disposent de titres de propriété à leurs noms. Les propriétés qu’elles exploitent sont encore dans l’indivision et les titres sont au nom de leurs parents ou de leurs aïeux. À cet effet, elles manquent de biens fonciers ayant une valeur collatérale en appui à leur capacité de crédit ou de valeur qu’elles puissent garantir par des revenus d’emploi. Elles ne peuvent pas non plus donner de garanties en objets de valeur (papiers de véhicule, de moto) exigés pour les montants compris entre 150,000 G à 350,000 G. Ceci explique la faible valeur des emprunts qu’elles peuvent avoir, soit de petits prêts qui ne nécessitent pas de documents en garantie. Les garanties demandées pour l’accès au crédit immobilier visent surtout les personnes qui ont un revenu professionnel ou un salaire régulier et suffisant dans la fonction publique ou comme employés et cadres du secteur privé et socio-professionnel. Les gens à petits revenus comme les ouvrières qui ne gagnent que $ 5 US par jour, les petites marchandes de détail, les agricultrices qui exploitent des parcelles peu fertiles ne satisfont jamais les critères d’éligibilité. 
Les institutions/unités formelles de microfinance comme les caisses d’épargne et de crédit sont plus accessibles à la classe moyenne et aux petites bourses. Les services offerts sont semblables à ceux des banques commerciales mais avec des conditions d’accès plus souples et des procédures administratives plus simples. Ce mécanisme de financement existe en Haïti depuis 1946, appuyé par divers bailleurs de fonds dont la BID.

Dans l’aire métropolitaine, la majorité des femmes rencontrées s’adonnent à une activité génératrice de revenus. Même celles qui ont un revenu fixe (studio de beauté, restauration, clinique, vente de vêtements, de produits de première nécessité) pratiquent souvent le commerce à domicile, ambulant ou dans un espace distinct de leur résidence. Près d’un tiers des femmes consultées louent un espace séparé pour leur commerce.

Les groupements de femmes qui ont pris forme depuis les années 1980 sont beaucoup axés sur la mise en commun des économies et de l’octroi de petits prêts en rotation qui servent surtout à développer les activités commerciales par les femmes membres du groupe. Les groupements visent dans une certaine mesure à accroître l’autonomie féminine et à élever le statut socio-économique des femmes. Cependant, les groupements ont des capacités limitées et appuient des besoins collectifs de base, surtout en milieu rural.  

7.9.2 Éligibilité au crédit

Les critères pour l’accès au crédit sont parfois difficiles à rencontrer pour des femmes ayant des niveaux d’éducation et de richesse minimaux. A Camp-Perrin par exemple, pour bénéficier d’un prêt, il faut disposer d’une Carte d’Identification Nationale/Numéro d’Immatriculation Fiscale (CIN), être membre de la caisse (chaque part sociale est à 250 G), détenir un compte d’épargne ou des parts sociales au moins depuis 3 à 6 mois avec l’équivalent d’une caution de 30 à 33% de la somme sollicitée pour un 1er prêt ou avoir 24 à 25% du montant sollicité dans le cas d’un 2ème prêt et 20% pour les autres prêts.  Les requérants doivent accepter la déduction de 2% comme frais administratifs et être en mesure de rembourser sur une durée de 15 à 20 mois au taux 2,5 à 4,5% par mois. Il faut de plus avoir un avaliseur qui travaille ou qui exerce une activité génératrice de revenus et détient un compte bancaire dans cette caisse. On n’avance pas de fonds sans document d’identification, or des agents de crédit ont dénombré plusieurs femmes sans pièces d’identification, souvent provenant des sections communales ou issues de communes limitrophes.

L’agent de crédit s’assure que le demandeur ou demandeuse de prêt dispose d’un revenu garantissant le remboursement (lettre de travail, commerce, agriculture) et une preuve de résidence dans la commune. De plus, le conjoint ou les enfants majeurs en l’absence de conjoint doivent approuver les demandes de prêts du mari ou de la femme; du père ou de la mère. Plusieurs femmes voient ceci comme marque de non-confiance en leur capacité à contracter des prêts et une injustice dans l’accès égalitaire aux ressources. Après analyse des conditions d’éligibilité, il s’avère souvent que les femmes ne bénéficient que de petits montants. Les caisses n’ont pas toujours les moyens d’accorder la totalité des montants sollicités : elles octroient la moitié ou les 2/3 du montant demandé. Les femmes témoignent que la procédure d’application est longue, qu’elles doivent répondre à des questions qui parfois s’insèrent dans leur intimité, et qu’elles peuvent recevoir à l’improviste des visites domiciliaires et de leur commerce. 

Une fois les conditions remplies, il n’y a pas d’écart important entre les deux sexes dans l’approbation d’un prêt. La majorité des demandeurs et demandeuses de prêts qui répondent aux exigences sont approuvés/es. Un prêt peut être refusé si après analyse on trouve que le demandeur ou la demandeuse n’a pas la capacité de rembourser (surendettement, histoire de crédit), a fait une fausse déclaration, ou est peu crédible par sa situation. Lorsqu’il s’agit d’un 1er prêt, on n’accorde que de petits montants sur une courte durée. Sur 100 demandes de prêts, 62% sont accordées, 36% sont reconsidérées et 2% sont refusées. Le pourcentage d’applications inéligibles est minime (moins de 1%). Toutefois, il est de plus en plus difficile pour les femmes de trouver un avaliseur membre de la caisse qui n’a pas eu une histoire défavorable de crédit ou qui n’avalise pas déjà quelqu’un d’autre. Il semble que ce soit plus difficile pour les femmes que pour les hommes, qui occupent une plus grande place dans les activités de crédit. 

7.9.3 Types de prêts

Il y a plusieurs types de prêts : pour le commerce, le logement (construction et réparation), crédit écolage et crédit agricole. Les crédits au logement et à l’écolage sont les plus à risque car les activités ne produisent pas de revenus. Or, ce sont souvent les types de crédit dont ont besoin les femmes. L’une des institutions de microcrédit (Fonkoze) a mis en place un crédit rapide et à courte durée de remboursement (3 mois), le Taptap crédit. Le temps de traitement du dossier est de 24 à 48 heures. Cependant, le montant alloué ne dépasse pas 5,000 G, ce qui limite donc l’ampleur des usages possibles pour les femmes.

Les motifs de prêts diffèrent d’un sexe à un autre. Pour la femme c’est plutôt le commerce, la rentrée des classes, la réparation ou reconstruction de la maison (surtout après l’ouragan Matthew), tandis que les hommes empruntent pour l’achat d’une moto à des fins de taxi, achat de bétail pour la revente, la campagne agricole, la construction. Les hommes obtiennent des montants plus importants car ils font des demandes plus élevées pour leurs activités et ont moins de défis à présenter des garanties collatérales et des avaliseurs. Les caisses n’exigent pas, apparemment, de preuve légale de propriété de la maison.  

Les institutions de microfinance accordent très peu de crédit dans la filière agricole à cause du niveau de risque. Pour les femmes, outre la difficulté de trouver un avaliseur disponible et crédible, le poids des responsabilités familiales et les situations fréquentes monoparentales (veuves, abandon par le conjoint ou mari, mères célibataires) les forcent à utiliser les argents empruntés à divers besoins : alimentation de la famille, les soins médicaux, les frais scolaires, les funérailles, etc. Il y a plusieurs exemples de femmes victimes de l’attitude irresponsable d’un conjoint abdiquant sa part de la charge des enfants et du foyer. 

7.9.4 Modalités de remboursement

En milieu rural à Camp-Perrin, quand les garanties sont obtenues pour un emprunt, les caisses gardent celles-ci en gage puisque les biens ruraux ne peuvent faire l’objet d’hypothèque selon l’article 27 du code rural. Avec ou sans gage de garantie les taux d’intérêt sont les mêmes.  Cependant, même en cas de non-paiement, les caisses de Camp-Perrin affirment n’avoir jamais fait de saisie. Toutefois, pour les femmes, le risque de perte de garanties existe si le re-paiement s’avère difficile, ce qui les place en situation vulnérable. 

De plus, les taux d’intérêt mensuel de 2,5% (caisses populaires) à 5% (microcrédit) dans le secteur de la microfinance ne sont pas favorables aux femmes. D’autres frais et obligations (part sociale, traitement de dossiers) s’ajoutent aux intérêts. Une contrainte importante au remboursement est le taux élevé d’intérêts. Tous les bénéfices acquis sont consacrés au paiement des intérêts : les femmes ont l’impression de travailler pour les bénéfices des caisses plutôt que leurs propres intérêts. Enfin, certains agents de crédit exploitent la situation précaire des femmes lors du suivi des retardataires au remboursement, profitant de la vulnérabilité des femmes pour solliciter des faveurs sexuelles. 

Les caisses ont leur propre politique de remboursement. L’épargne du débiteur est bloquée jusqu’au dernier remboursement. De plus, les agents de crédit sont en même temps des agents de recouvrement et font des visites de rappel de remboursement auprès des clients. En cas d’échec, les caisses affichent les noms de ceux et celles qui ne sont pas en règle, puis passent à la publication des noms à travers les médias, et en dernier recours à la procédure en justice et à la saisie. Le CAPECC a 27% des prêts qui sont en retard de remboursement. 

En milieu urbain, les prêts accordés par les caisses d’épargne et de crédit et les institutions de micro-crédit permettent aux membres du secteur informel sans garanties suffisantes d'obtenir du crédit. Cependant, les femmes ont des défis à honorer leurs engagements à cause des taux d’intérêt qui sont jugés trop élevés. Les bénéficiaires font souvent face à des taux mensuels qui oscillent de 2.5% à 5%, taux exorbitants sur une base annuelle. 

8. Perceptions institutionnelles sur l’accès au foncier pour les femmes

Les responsables des caisses reconnaissent à l’unanimité que le niveau de remboursement par les femmes est plus élevé que celui des hommes bien que souvent les femmes aient du mal à respecter les échéances de remboursement. Les barrières sont les dépenses familiales imprévues, la faillite, la perte de marchandises ou le vol des recettes de la vente, la mévente (trop de marchandise, le faible pouvoir d’achat, la vente à crédit aux clients) et le surendettement.  

Des représentants/es ou des personnes mandatées par des institutions étatiques et non gouvernementales ont exprimé leurs opinions sur la question de l’accès au foncier.  La plupart des commentaires soulevés sont plutôt de nature générale quant à l’accès au foncier et à sa gestion. Selon les témoignages recueillis: 

  • La législation haïtienne n’est pas défavorable aux femmes. Le problème se trouve au niveau de l’organisation du système. Il n’y a pas de code foncier et les textes de lois sont désuets et peu vulgarisés. De plus les agents ont souvent des difficultés avec les procédures légales de sécurisation des biens et les administrés avec la connaissance de leurs droits et la non proximité des tribunaux. 
  • La formation est un grand besoin non adressé présentement. Certains établissements d’éducation supérieure ne donnent pas de cours spécifique sur le foncier aux ingénieurs, avocats et juges. Un cours de droit de la propriété est donné aux étudiants de l’Université Quisqueya. Les facultés des sciences et d’agronomie offrent également un cours sur les droits de propriété. Mais, les connaissances sont superficielles. L’école de formation des arpenteurs fonctionne depuis mai 1969 sous une autre dénomination : école de topographie. La nouvelle loi proposée ne prévoit pas d’apporter de précision sur la mise à niveau de la scolarité d’arpenteur. Pourtant, l’arpentage est l’opération la plus importante et la base de la sécurité foncière. L’arpenteur fait le bornage et rédige les procès-verbaux qui sont obligatoires pour que le/la notaire rédige un acte (décret de 1975). 
  • Plusieurs procès sont en lien avec des conflits terriens qui ont un énorme coût social et économique.
  • Le recensement cadastral du CIAT ne résoudra pas les conflits terriens et devrait intégrer plus d’arpenteurs et de notaires, importants acteurs du système. CIAT peut délivrer des certificats aux propriétaires attestant qu’ils sont en possession de titres ou toute autre preuve justifiant l’occupation de la propriété, mais seuls les arpenteurs peuvent, selon la loi, faire les procès-verbaux d’arpentage. 
  • Il est important de faire la sensibilisation des femmes sur l’importance que leurs noms apparaissent au niveau des actes. Celles vivant en union libre sont à risque. Elles se retrouvent souvent dépossédées lorsque chassées par les parents des concubins et souvent par les conjoints en cas de séparation.
  • La pauvreté féminine est tangible surtout chez les femmes monoparentales et les veuves. Certaines interventions d’ONG et d’institutions étatiques appuient des femmes paysannes et contribuent à leur autonomisation, mais peu d’entre elles touchent la question de propriété pour les femmes.  
  • Les femmes intègrent les mutuelles de solidarité pour pouvoir accéder au crédit plus rapidement et bénéficier des ristournes de leur argent investi dans le groupement. Certaines structures comme le KNFP, forment, à partir de leurs unités mobiles, des responsables des mutuelles de solidarité (composées à 99% de femmes et mises en place par des femmes) afin les aider à mieux gérer leurs activités commerciales et à renforcer leur autonomie. C’est une stratégie proprement féminine pour pallier les difficultés qu’ont les femmes à accéder au crédit institutionnel.
  • Les services des coopératives et des caisses populaires, réparties dans l’ensemble du pays sont destinés aux plus vulnérables, d’où les femmes et les paysans/nes. Mais les défis face au crédit se posent plus pour les femmes que pour les hommes, bien qu’elles aient une meilleure cote de remboursement.  
  • Les Ministères de la Condition Féminine et de l’Agriculture pourraient inciter d’autres instances du gouvernement et du secteur privé à mettre en place un mécanisme de crédit pour que les femmes obtiennent des prêts à des taux plus bas que ceux offerts par les institutions de microfinance, comme cela se fait dans d’autres pays;
  • Selon les agents ministériels, le générique féminin est pris en compte durant la rédaction des procès-verbaux d’arpentages et des actes de vente/donation et de transfert des propriétés et ils ne voient pas l’utilité de catégoriser le sexe de l’acquéreur.  Dans le contenu de l’acte la mention « a comparu le citoyen ou la citoyenne ou encore les époux » indique déjà le sexe. Ce serait cependant plus clair si l’ajout d’un élément dans la base de données identifiait s’il s’agit d’un homme ou d’une femme.

9. Stratégies pour faciliter l’égalité femmes-hommes en matière de foncier 

Les suggestions recueillies des personnes interviewées au niveau de l’État lors des entrevues semi-dirigées sont plutôt de nature générale sur la gestion de certains aspects du foncier et peu spécifiques sur les questions de l’égalité de genre dans le foncier. On peut interpréter ceci comme une confirmation de la faible reconnaissance et du silence actuel sur les questions liées aux obstacles que rencontrent spécifiquement les femmes dans l’accès et la sécurisation foncière. Les représentants/es étatiques incluent les agents ministériels, les directeurs de services, les arpenteurs et les notaires.

Un ensemble de mesures a été proposé pour appuyer une meilleure égalité femmes-hommes en matière de foncier par les groupes de femmes consultées. En grande partie, ces mesures ont trait à l’accroissement du potentiel économique des femmes, démontrant que ceci est une préoccupation prépondérante visant leur gain en autonomie et leurs avoirs. 

9.1 Suggestions des acteurs étatiques pour faciliter l’accès et la sécurisation foncière par les femmes 

Réforme du cadre légal et des procédures

L’État doit assurer la sécurisation des transactions et à cet égard, des modifications du cadre légal et procédural seraient avantageuses, notamment pour éviter les faux en écriture; éviter les dédoublements par une meilleure organisation des systèmes; réglementer les honoraires des officiels, arpenteurs et notaires et voir à ce que ce soit appliqué; encourager les institutions financières à mettre en place des mécanismes d’appui au partage des biens fonciers; organiser les bureaux de cadastre décentralisés et leur lien avec le bureau central; régulariser par des mesures spéciales la situation précaire des femmes propriétaires de biens en donnant une existence légale aux pratiques informelles de partage de succession qui remontent à 5 ans et plus et enfin adapter les lois matrimoniales pour ne pas défavoriser au niveau foncier la majorité des femmes vivant en plaçage, en cas de décès ou de séparation.     

Les officiers attachés au Ministère de tutelle ont fait des suggestions organisationnelles qui selon eux appuieraient l’accès et la légalisation foncière, y compris pour les femmes. Elles concernent le rôle de l’ONACA qui selon certains devrait organiser le titrement foncier (car les populations ont peu de moyens d’investir dans la sécurisation foncière), en donnant à l’occupant/e d’une propriété un document écrit qui établit sa situation. 

Certains suggèrent que l’État devrait prendre des mesures d’une part pour légiférer sur le morcellement à outrance des terres qui dévalorise les propriétés, et devrait adopter une politique de logements sociaux. Par ailleurs, les personnes interviewées encouragent un meilleur réseautage des institutions impliquées dans le foncier. Reconnaissant le problème de réputation des officiers ministériels qui sont parfois mal vus par la société, il est ressorti le besoin d’améliorer leur image publique et de réduire la suspicion entourant ces fonctionnaires souvent vus comme usurpateurs ou complices des spoliateurs.  

Procédures à considérer

Plusieurs des suggestions des officiers ministériels sont largement procédurales : éviter d’informatiser de faux documents; attribuer un nom et numéro à chaque parcelle; assurer un plan de chaque parcelle en dépôt à la DGI pour enregistrer un acte; actualiser la base de données lorsque les parcelles sont fragmentées; donner un rôle prédominant au juge de paix pour les permis d’arpentage, etc.    

Éducation et information

Face à l’ignorance prédominante par rapport au foncier, il est nécessaire de fournir aux propriétaires toute l’information pertinente sur l’importance et les avantages de la sécurisation foncière. Il est surtout vital d’informer les femmes sur l’importance qu’elles soient présentes pour les processus d’arpentage et que leur nom apparaisse sur les titres. Enfin, afin de créer un changement durable, il est essentiel d’informer les jeunes de l’importance de travailler avec les arpenteurs et les notaires pour toute transaction concernant le foncier.

Les femmes gagneront en autonomie, en capacité de gestion et en pouvoir d’achat leur donnant accès à la propriété si elles ont une meilleure éducation de base, et qu’elles ont accès à des formations professionnelles. Pour pallier aux lacunes en éducation, des sessions d’information communautaire ciblant les femmes afin de leur donner les informations essentielles sur le foncier pourraient être un appui précieux. 

Performance de la chaîne des services de sécurisation de propriétés

Sur la base des carences constatées dans la chaîne de livraison des services, tant par les experts que par les institutions (DGI), il est suggéré que les propriétaires voient d’abord un notaire apte à analyser le titre en cause avant d’avoir affaire à l’arpenteur. Ceci pourrait sauver des frais en assurant à priori la légitimité du terrain. Il faudrait sensibiliser les arpenteurs et les notaires sur le respect du délai de livraison des procès-verbaux et des titres de propriété. Enfin, il serait utile que le CIAT assure la livraison des attestations de propriétés recensées pour clarifier les statuts et limites des propriétés et confirmer les propriétaires dans leurs droits, et en particulier, que des mesures soient prises afin de sécuriser les acquis des femmes en plaçage ayant bénéficié de propriété de leur conjoint mais qui risquent de perdre cette propriété sans preuve légale de mutation.  

Accès aux services d’arpentage

Compte-tenu des coûts souvent onéreux qui empêchent les propriétaires de faible revenu d’avoir recours aux arpenteurs et aux notaires, il serait justifié de mettre en place un programme de subvention pour les femmes dont la superficie de la propriété est petite et indivise et dont les moyens pour payer ces services sont limités; exercer un plaidoyer pour que les institutions financières s’impliquent pour alléger les coûts professionnels de sécurisation foncière pour les gens à faible revenu. 

Accès aux terres de l’État

En rendant accessibles à peu de frais aux groupes de femmes les terres du domaine privé de l’État et en formalisant des contrats de cession ou d’utilisation de ces terres aux usagères, l’État rendrait un grand service en permettant aux femmes de générer des revenus pour plus tard accéder à la propriété.  

Autonomisation et confiance

Certaines femmes ont tendance à compter sur les hommes pour la gestion et pour la représentation de leurs intérêts. Par ailleurs, les hommes aussi perpétuent ce sentiment de dépendance obligée.  De la sensibilisation à l’égalité de genre dès l’enfance et la démonstration par l’exemple des capacités d’autonomisation des femmes pourraient encourager l’autonomisation égale des filles et des garçons.  

Appui financier

Il serait essentiel pour faciliter l’accès à la propriété (et le processus coûteux de légalisation des titres) par les femmes de mettre en place des mécanismes financiers, de prêts et/ou de subventions, qui rendront la propriété possible pour les petits épargnants et les femmes en l’absence de valeurs collatérales. 

Aide à l’emploi

A long terme, pour donner les moyens d’accéder à la propriété et de maintenir ses capitaux, les activités productives et l’emploi sont nécessaires. Des programmes encourageant la formation et l’accès à l’emploi lucratif pour les femmes et les ménages plus démunis sont à encourager. 

9.2 Propositions par les femmes pour améliorer leur accès et sécurisation du foncier

Sensibilisation et formation 

Partant de la reconnaissance qu’en groupement les femmes ont plus d’influence que lorsqu’elles agissent individuellement, les femmes proposent de former les membres des organisations de femmes sur le leadership et le plaidoyer pour qu’elles puissent défendre les droits des membres et les aider à gérer leurs capitaux. En milieu rural en particulier, une meilleure production et dissémination d’information sur les lois et processus du foncier s’avèrent nécessaires afin que les femmes ne soient pas lésées dans leurs droits par ignorance. La prise en compte des besoins des femmes en formation, information et sensibilisation relève de la compétence du Ministère à la Condition Féminine et aux Droits des Femmes en appui avec d’autres instances comme le CIAT, l’INARA, les organisations de femmes reconnues dans la lutte pour l’amélioration des conditions des femmes, les agences des Nations Unies, les organisations non gouvernementales.

Règlementation des coûts de services 

L’État devrait fixer les tarifs des officiers ministériels et les frais d’enregistrement et de transcription, visant à ce qu’ils soient abordables. Dû aux problèmes de confiance posés par le manque de transparence, il serait nécessaire d’avoir des informations claires sur les modalités de calcul des intérêts des prêts. Il revient au Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique, au Ministère de l’Économie et des Finances en concertation avec les représentants/es des associations féministes, des notaires et des arpenteurs de procéder à la révision des tarifs des officiers ministériels et de l’intégrer dans la réforme du cadre légal en cours.

Appui financier 

Pour faciliter l’accès des femmes à la propriété, plusieurs propositions concernent l’appui à apporter de diverses manières quant à l’accès au crédit : allègement des conditions de crédit, extension des périodes de remboursement pour crédit rapide (ti-kredi, Fonkoze), réduction des taux d’intérêts et des délais d’attente de traitement de dossiers, fonds de démarrage de crédit pour des femmes rurales ayant perdu leur capital suite aux catastrophes (séismes, ouragans), augmentation des prêts maximum pour activités agricoles ou commerciales. Les institutions de microfinance relèvent de la Banque de la République d’Haïti (BRH). De concert avec les associations de coopératives d’épargne et de crédit (Le Levier, le KNP), les agences de financement comme la BID, la Banque mondiale, les coopératives Desjardins et les représentants/es des associations de femmes, la BRH pourra soulever cette préoccupation et trouver une solution acceptable aussi bien pour les bénéficiaires de crédit que pour les institutions financières.

Aide à l’emploi 

Les femmes souhaitent que davantage d’appui pour l’emploi leur soit offert afin d’encourager la stabilisation de revenus productifs et leur capacité d’achat, d’enregistrement et d’entretien de propriétés. Avec de meilleurs revenus plus stables, les femmes auraient un accès moins limité au crédit et à des montants plus élevés, nécessaires à l’investissement dans le foncier. Le Ministère à la Condition Féminine et aux Droits des Femmes avec l’appui de ses partenaires techniques et financiers pourrait élaborer des programmes de formation professionnelle de courte durée avec un focus sur l’entreprenariat féminin et le financement des plans d’affaires montés par des groupes de bénéficiaires des formations.

Performance des services professionnels 

S’estimant défavorisées par les délais et complexités des procédures, les femmes aimeraient que les professionnels du foncier (arpenteurs et notaires) soient mieux sensibilisés sur les étapes légales et les échéanciers raisonnables pour la livraison de procès-verbaux et titres de propriétés. 

Afin de contrer l’abus de pouvoir exercé sur les femmes par des officiers par la sollicitation de faveurs lorsqu’elles sont vulnérables, ou les traitements méprisants, les femmes souhaitent que l’État et les institutions élaborent et appliquent un code d’éthique pour les agents de crédit et autres officiers qui avilissent les femmes ou sollicitent des femmes des faveurs sexuelles au cours du traitement des demandes de prêts et du suivi des remboursements.

Pour les femmes consultées à Camp-Perrin, il serait aussi utile que le CIAT puisse assurer la livraison des attestations de propriétés recensées pour clarifier les statuts et limites des propriétés et confirmer les propriétaires dans leurs droits.

10.    Conclusion

L’étude menée au niveau du cadre légal et des constats en milieu rural et en milieu urbain amène à conclure que si la législation haïtienne n’est globalement pas défavorable aux femmes en matière d’accès et de légalisation de la propriété foncière, une absence de légalisation de statut dans d’autres domaines, par exemple le régime matrimonial de non reconnaissance pour les conjoints/es en plaçage, affecte souvent négativement les femmes dans cette situation. Les problèmes majeurs qui causent des inégalités entre les hommes et les femmes en rapport au foncier se trouvent surtout au niveau de l’organisation du système, des valeurs sociales et des pratiques coutumières résistant encore aux principes légaux établis. Par exemple en matière de succession, les femmes demeurent souvent en arrière-plan et en position de dépendance, étant perçues comme liées au domicile du conjoint. La femme peut exercer tous les droits (contrôle, gestion, exploitation, aliénation, etc.), même lorsque mariée.  Au niveau du système de gestion foncière, il faut remarquer que deux-cent quatorze (214) ans après la 1ère constitution d’Haïti, l’État n’a toujours pas élaboré de code foncier. Les textes de lois en vigueur sont désuets, multiples et décousus, peu vulgarisés et peu disséminés surtout au niveau de la masse paysanne où les niveaux d’éducation justifieraient des campagnes d’information ciblée sur les lois et processus. Par ailleurs, même les agents, en raison de leur manque de formation ont souvent des difficultés avec les procédures judiciaires et sont peu à même de faire connaître leurs droits aux administrés/es. 

La femme haïtienne est encore largement perçue comme occupant socialement une position inférieure à l’homme. Du fait de leur faible niveau d’instruction, de leur manque de préparation pour le marché formel de l’emploi, les femmes génèrent moins de revenus et disposent de très peu de moyens pour accéder à la terre par achat et pour sécuriser le peu de biens qu’elles possèdent. Les témoignages des femmes rencontrées confirment qu’elles exploitent d’abord la terre pour la réalisation d’activités de production dans le but de nourrir la famille (subsistance). Même quand les femmes arrivent à commercialiser une partie de leur production, les fonds sont souvent utilisés pour se procurer des denrées non cultivables et répondre aux besoins immédiats de la famille. Elles ont très peu d’opportunités d’accumuler un capital, et à cet égard, un niveau de jouissance de la propriété et du capital inférieur à celui des hommes.

Accéder à la propriété reste encore un objectif majeur pour une grande majorité de femmes, car c’est la première étape de la constitution d’un patrimoine, d’une relative sécurité et d’une certaine autonomie. Cependant, elles font face à de nombreux obstacles dont les limites financières qui représentent un frein majeur à la matérialisation de ce rêve. La plupart des femmes ne peuvent compter que sur leurs propres moyens : l’élevage, le petit commerce, les transferts provenant de la diaspora et les emprunts à taux d’intérêt élevés. Lorsque les femmes reçoivent une parcelle en héritage, les superficies sont généralement petites en milieu rural et ne permettent pas de générer des revenus substantiels pour de nouvelles acquisitions et l’augmentation de la production. L’affermage, le métayage et la situation d’associée sont souvent leurs stratégies de survie. 

En matière de partage de succession, les parents s’éloignent de plus en plus de la coutume priorisant les garçons et attribuent les biens sans faire de distinction de sexe et de rang de naissance. Cependant, ce principe n’est pas toujours respecté pour celles qui ne résident plus dans les localités où se trouvent la succession. Elles sont souvent victimes de l’inégalité au moment du partage à cause de leur lieu de résidence lié à leur conjoint et elles ne jouissent plus des retombées économiques des terres qui leur appartiennent légalement. Elles sont aussi aux prises avec une coutume qui désapprouve l’approche judicaire pour faire valoir les droits entre frères et sœurs en cas de répartition inégale et injuste de la succession de leurs parents, en plus des coûts de procédures juridiques.

Bien qu’il y ait un déficit global d’information en matière de droits fonciers qui affecte l’ensemble de la population, surtout rurale, les femmes sont plus affectées par cette lacune car elles sont moins instruites et moins présentes dans l’espace public. Elles sont, en conséquence, très peu renseignées des lois et règlements, des mesures pour défendre leurs droits, en plus d’être démunies de moyens pour payer les frais légaux.  Par ailleurs, parce que les femmes sont souvent plus vulnérables à la manipulation et à l’abus de pouvoir, elles ne font souvent pas confiance au système judiciaire (arpenteurs, notaires, avocats et juges) par elles-mêmes, et dans certains cas, elles sont abusées lorsqu’en situation de vulnérabilité. 

La situation d’insécurité foncière n’est pas propre aux femmes. Mais contrairement aux hommes, leur marge de manœuvre est traditionnellement plus réduite.  Leur déplacement de l’habitat familial après le mariage ou le plaçage les rendent plus vulnérables et à risque. Leurs portions d’héritage sont souvent récupérées ou mises en valeur par des hommes de la famille, sans qu’on ne leur retourne de bénéfices. 

Au niveau du système financier, les banques, les coopératives et les caisses populaires, allouent peu du portefeuille de crédit au logement et à l’agriculture. C’est le commerce qui bénéficie de la plus grande portion du crédit et les femmes sont désavantagées par leur manque de biens à valeur collatérale, leur marginalisation de l’emploi formel, et des difficultés à rencontrer les critères d’éligibilité des institutions. Très peu de femmes, surtout au niveau rural, rencontrent les conditions de prêts posées par les banques pour des prêts substantiels, ce qui serait nécessaire à l’investissement sur la propriété. Au niveau des coopératives et des caisses populaires, en dépit de la réputation qu’elles ont d’appuyer les populations les plus vulnérables, force est de constater que les femmes rurales ont encore du mal à accéder au crédit. De plus en plus, les femmes s’organisent en groupements d’intérêt économique, groupes de solidarité par l’épargne et le prêt mutuel. Elles créent des mutuelles de solidarité avec les cotisations des membres, ce qui augmente leurs possibilités d’avoir un accès rotatif à des fonds pour leurs activités génératrices de revenus. On ne peut identifier si de tels fonds sont utilisés pour des investissements de propriété : tous les témoignages et exemples étudiés concernent l’agriculture, les besoins domestiques et saisonniers, et le petit commerce.  

11.    Recommandations

En absence de données certaines et spécifiques sur l’accès des femmes au foncier, il est difficile de proposer des recommandations qui répondraient à l’ensemble des besoins. Elles sont classées en 4 rubriques : 1) Modifications systémiques (politique, légal); 2) Changements dans les procédures ; 3) Information et participation ; 4) Appui à l’épanouissement socio-économique. 

Les recommandations sont adressées aux instances dont la responsabilité directe est la plus évidente, assumant que les intéressés entreprendront les démarches requises pour obtenir les appuis nécessaires à la réalisation des recommandations. Certaines recommandations sont plus pressantes et peuvent être mises à exécution à relativement court terme (au cours de la prochaine année), d’autres visent le moyen terme (de 1 à 3 ans), et d’autres enfin font appel à une exécution à plus long terme (3 ans et au-delà) 

1)    Modifications systémiques (politique, légal) à effectuer par le Gouvernement de la République d’Haïti 

1.1)    À COURT TERME  et MOYEN TERME (1-2 ANS) : Que soit accéléré par le CIAT en concertation avec le Ministère des Affaires Sociales et le Ministère à la Condition Féminine et aux Droits des Femmes le processus de mise à jour et de modernisation du cadre légal et institutionnel du foncier et y intégrer des mécanismes d'accès au logement décent et à la propriété pour les femmes;

1.2)    À MOYEN ET LONG TERME (1 AN et AU-DELÀ) : Le Ministère à la Condition Féminine et aux Droits des Femmes devrait ébaucher et recommander des politiques publiques et des interventions (programmes) qui contribueront proactivement à la protection et à l’autonomisation des femmes et à leur pouvoir d’action en matière de propriété (information, accès, moyens financiers, reconnaissance légale). Notamment, devraient être considérées des mesures incitatives dans les programmes pour faciliter l’accès au crédit, aux services, et à la protection des usagères de services fonciers;

1.3)     À MOYEN ET LONG TERME (1 AN et AU-DELÀ) : Le Ministère des Affaires Sociales, en concertation avec Ministère à la Condition Féminine et aux Droits des Femmes devrait élaborer une politique publique sur le logement abordable et le foncier pour aider les ménages des quartiers précaires et ceux qui n’ont plus de logement suite aux différents séismes naturels et prendre en compte la dimension de l’égalité de genre dans tout projet de logements sociaux;
1.4)     À MOYEN TERME (1 à 3 ANS) : Afin de protéger la propriété et les droits égaux des couples en plaçage, le Ministère à la Condition Féminine et aux Droits des Femmes, en concertation avec le Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique devrait proposer des lois ou amendements aux lois pour le partage équitable des biens et la rétention de propriété lors de la séparation ou de la mort de l’un des conjoints;
1.5)    À MOYEN ET LONG TERME (1 AN et AU-DELÀ) : le Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique devait prendre en compte dans la réforme du cadre légal des dispositions visant à prévenir la spoliation des biens privés et à fournir en cas de conflits, une assistance légale aux groupes vulnérables dont les femmes et les mineurs.

2) Changements dans les procédures 

2.1)    À COURT TERME (1 AN): Le Ministère à la Condition Féminine et aux Droits des Femmes devrait s’assurer, au niveau du parlement, de la prise en compte du genre (formes génériques, neutralité linguistique et particularités spécifiques de chaque sexe) dans la révision, l’élaboration et le vote de toute nouvelle loi et documents procéduraux; 

2.2)    À MOYEN TERME (1 à 3 ANS): Les organismes internationaux en appui à la sécurisation du foncier en Haïti devaient offrir plus de ressources aux programmes de subvention de frais d’arpentage en milieu rural pour des femmes exploitantes de parcelles agricoles en indivision depuis 5 ans et plus;

2.3)    À MOYEN ET LONG TERME (1 AN et AU-DELÀ) : Le Ministère à la Condition Féminine et aux Droits des Femmes devrait mettre en place un programme pour accompagner les femmes dans la sécurisation du peu de biens qu’elles possèdent pour éviter les éventuels conflits et les coûts qu’ils impliquent (formalisation des partages, subvention des actes d’arpentage et notariés). Il serait souhaitable que d’autres instances (Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique, ONACA et CIAT) appuient, sur la base de leur expertise, le ministère dans la mise en œuvre de ce programme. 

2.4)    À MOYEN ET LONG TERME (1 AN et AU-DELÀ) : Le Ministère de l’Économie et des Finances et le Ministère de la Planification et de la Coopération Externe devraient, à travers la budgétisation, augmenter les allocations financières des ministères sectoriels et organismes impliqués dans la gouvernance du foncier en Haïti afin de bonifier l’étendue et la qualité des services aux populations et la dissémination de l’information.

3) Information et participation

3.1)  À COURT TERME (1 AN) : Le Ministère à la Condition Féminine et aux Droits des Femmes devrait proactivement militer pour l’implication des organisations de femmes tant au niveau urbain que rural dans les états généraux de la nation et le dialogue national en vue de trouver un consensus, une vision partagée sur les réponses à apporter à la problématique de l’accès des femmes aux ressources et biens fonciers;

3.2)    À COURT TERME (1 AN) : Les bailleurs de fonds (BM, BID, Gouvernement du Canada et Gouvernement haïtien) et l’exécutant, l’Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique (IHSI) devraient inclure dans le 5ème recensement national planifié en 2019 des questions permettant l’obtention de statistiques précises sur la distribution selon le genre (F-H) des propriétés en Haïti et de l’accès à la propriété;

3.3)     À MOYEN TERME (1 à 3 ANS) : Les organismes et acteurs du foncier, soit les partenaires de programmes de coopération avec les partenaires ONG et organisations de la société civile ainsi que les bureaux décentralisés ayant du personnel formé, devraient aider les femmes en particulier à se familiariser avec les étapes de procédure d’achat, de vente légale de bien foncier et de sécurisation des droits fonciers; 

3.4)   À MOYEN TERME (1 à 3 ANS) : Les organismes étatiques (INARA, ONACA, CIAT, DGI) et non étatiques (groupe de travail sur le foncier en Haïti, PIRFH) en appui au foncier doivent rechercher la synergie avec d’autres projets et acteurs de développement en vue d’organiser des séances de formation et d’information au profit des membres des organisations de femmes sur la protection de leurs droits dans l’acquisition ou le transfert de biens fonciers.

4) Appui à l’épanouissement socio-économique

4.1) À COURT TERME (1 AN) : Afin de promouvoir un accès plus large à la terre pour les femmes, l’INARA pourrait faciliter activement et rapidement l’occupation des terres vacantes pour le bénéfice d’organisations de femmes; 

4.2)    À COURT, MOYEN ET LONG TERMES (1 AN ET AU-DELÀ) :  Les ONG internationales et nationales et organismes à vocation de développement social devraient accentuer les appuis aux groupements de femmes impliquées dans les mutuelles sur les outils de crédit, l’entreprenariat, les droits, et les stratégies pouvant accroître leur plafond de crédit et augmenter leur capacité d’accès à la propriété.

Annexe I  -  Bibliographie

Documents 

CIAT, Les cahiers du foncier, Plan foncier de base à Bas Peu de Choses, Les leçons apprises, juillet 2017

De la Saussey, S.,  Régulariser sans titriser; sous dir. de G. Josse, AFD, 2009 
Despeignes, M, Le droit informel haïtien, PUF, 1976

Dorner, V., Les droits fonciers et l’accès à la terre en Haïti dans une perspective sociale et historique, Module 5, 2014

Habitat pour l’humanité - Groupe de travail sur le foncier en Haïti, Vente légale de bien foncier en Haïti : un guide pratique, juin 2012

Habitat pour l’humanité - Groupe de travail sur le foncier en Haïti, La sécurisation des droits fonciers en Haïti : un guide pratique, décembre 2014

IHSI, Enquête conditions vie et ménages, 2003

MARNDR, Plan National d’investissement agricole 2010-2016, janv. 2010 

MCFDF, Diagnostic des inégalités de genre, décembre 2013

ME-GEF-PNUD, Analyse du cadre légal et institutionnel relatif à la gestion durable des terres, août 2010

ONU-Habitat, Lois cadrant la Réforme Foncière en cours dans la République d’Haïti, 2007

UCLBP/UNOPS, Guide pratique sur le foncier en Haïti, 2014

Kawalec, A.,  Femmes et relations inégalitaires entre les genres en Haïti, Programme de développement local-BID, 27 octobre 2003

Rapports

Berut, C., Rapport de données de base du projet PIRFH, Juin 2017

Banque mondiale, Women, Business and the Law, Jan. 2014

CIAT,  Vers un système cadastral adapté à Haïti, Les Cayes, 2015

CIAT-PSFMR,  Projet de sécurisation foncière en milieu rural, Rapport 1, oct. 2014

CIAT-IDB-Land Alliance, Étude d’impacts sociaux, Programme de sécurisation foncière en milieu rural, avril 2017

Centre de Coopération Haïti Canada (CCHC), Rapport d’analyse du secteur de la microfinance, juin 2009

Damais, G., Rapport sur l’état et les perspectives de l’agriculture et du monde rural, nov. 2006

Land Alliance, Rapport sur l’équité de genre, janvier 2017

MARNDR, Rapport du recensement général agricole, 2008-2009

MPCE, Rapport de l’ouragan Matthew, 2016

MSPP, Rapport EMMUS VI, 2017-2018

OFPRA, Rapport de mission en République d’Haïti du 26 mars au 7 avril 2017

Articles 

Foucault, H., « Les coutumes successorales en milieu rural haïtien » dans le Nouvelliste, 4 décembre 2006;

Haïti - Social : « Laurent Lamothe lance officiellement, la réforme foncière en Haïti »,  08/09/2012 

CIAT : Extrait du Discours du ministre Camille Edouard Junior, 16/12/6

Castel, C. Gouverneur BRH, 30 juillet 2010, lettre circulaire # 6

De Soto, Hernando : « Le mystère du capital : pourquoi le capitalisme triomphe en Occident et échoue partout ailleurs », Paris, Flammarion, 2005

Laumonier, L.,  Klapisch-Zuber, C. - (dir.), « Les femmes dans l’espace nord-méditerranéen », Études Roussillonnaises. Revue d’histoire et d’archéologie méditerranéennes, Genre & Histoire tome XXV, 2013, 183 p.
 
Oriol, M., Dorner, V., L’indivision en Haïti : Droits, temps et arrangements sociaux,  dans Économie Rurale, juillet-sept. 2012

Textes de lois et politiques

Constitution de la République d’Haïti de 1987, version amendée, 2ème édition, mars 2015  

Code civil d’Haïti 1825, mis à jour par Jean Vandal, février 2004

Décret 27 novembre 1969, Moniteur # 113-114

Décret du 26 février 1975, Moniteur no. 21, publié le 17 mars 1975;

Décret de création de l’INARA, 4 mai 1995

Décret de création de l’ONACA, novembre 1984 

Politique d’égalité Femmes-Hommes 2014-2034, République d’Haïti

Annexe 2  - Listes des organisations, institutions, associations et personnes rencontrées

CAMP-PERRIN

Lieu 

Catégorie

Nom et prénom

Sexe

 

Camp-Perrin

Agronome, Directeur ONG ORE

1.M. Louissant

M

Résidence de la déléguée

Champlois-Haut Camp

2ème membre délégué de la ville de camp-Perrin

2. Rutha Calvaire

3. Charly Duverseau

F

M

Levy, Bureau ORE (ONG)

Directeur général

4.Eliassaint Magloire,

M

Bureau de l’arpenteure

1ère Bellevue

Port Salut

Arpenteure et déléguée de l’Association nationale des arpenteurs, Département du Sud

5. Milard Rose Martine

F

Ville des Cayes

Etude du Notaire

Notaire, Commissionné dans la commune des Cayes

6. Jocelyn Yves Hervé

M

Bureau CAPOSAC

Bas Camp, rue Concurrence

Directeur de crédit

7. Abellard Clergé,

M

Bureau CAPECC

Champlois-Haut Camp

Membre conseil de crédit et comptable

8. Mathurin Jean Merite

9. Constant Yves François

10. Plaisimond Rose Aliette

M

M

F

4ème section Moreau-Ferme Leblanc (Torbeck)

Membre du CASEC de la 4ème section

11. Mme Denise Luxier Misère

F

 

3ème section Camp-Perrin, Localité Rhé, Local de MP3K

Coordonnateur 

12. Pierre Frantz St Fort

13. Chavannes Casséus

M

M

Local de la DGI, Bas-Camp

Chef de bureau

14. Lovermon Antoine

M

Bureau ACME, La Porte

Directeur

15. Vallès Samson

M

Camp-Perrin

Bureau de l’arpenteur

Bananier-Périgny

Arpenteur commissionné pour la commune de Camp-Perrin

16. Reguel Casséus

M

Camp-Perrin

Etude du Notaire

Notaire commissionné pour la commune de Camp-Perrin

17. Me Harry Jean

M

AIRE MÉTROPOLITAIRE (PORT-AU-PRINCE)

Lieu 

Catégorie

Nom et prénom

Sexe

PNUD

Port-au-Prince, Bourdon

 

Agence des Nations Unies (intervenant)

1.Guillot Olivier Hilalgo

2. Jeanty Hervens

3. Chery Leane

M

M

F

FAO

Bureau, Pétion-Ville

Agence des Nations Unies (intervenant)

4. Walter De Oliveira

5. Charles Jean Jacob

M

M

Agence Française de Développement (AFD)

Pétion-Ville

 Bailleur de Fonds

6. St-Paul Yannick

M

PSAT Delmas 47 

Firme de services/analyse et suivi des projets canadiens

7. Charles Hugues

M

CIAT

Port-au-Prince

(Bois Patate)

Réforme du cadre légal, recensement Cadastral

 

8. Oriol Michèle

9. Princeton Martine

10. Tardieu Patrick

F

F

M

ONACA

Port-au-Prince (Pacot)

Conservation des registres du cadastre)

11. Normil Frenel

12 Jean Me Anne Marie

M

F

DGI - Port-au-Prince

Enregistrement et transcription des actes - DECF

13. Loredant Lubonheur

M

INARA

Delmas 83

 

Réforme agraire

14. Armand Eberle

15. Thelusmond Michel Ronel

16. Beaudin Eribert

17. Ethéart Bernard

M

M

M

M

Habitat pour l’humanité Pétion -Ville

ONG (intervenant)

18. Tham Jean Frenel

19. Jackson Alexandra

M

F

KNFP – Pétion-Ville

Institution microfinance (regroupement de coopératives)

20. Dieudonné Eugène

M

Le Levier, Pétion-Ville

Institution microfinance (regroupement de coopératives)

21. Daniel Paris,

M

Syndicat des notaires, Port-au-Prince

Syndicat des notaires

22. Belisaire Marie Alice

(présidente)

F

Syndicat des notaires

Pétion-Ville

Syndicat des notaires

 

23. Alphonse Lesly

(Vice-président)

M

Association des arpenteurs

Local PIRFH, Delmas 83

 

Association des arpenteurs

24. Dorfeuille Jean Jacques

25. Beauvoir Gary

(Président et Vice-président)

M

M

Bureau de notaire

Port-au-Prince (Alix Roy)

Notaire

26. Mario Gai

 

M

 


Cette publication est réalisée avec l'appui financier du gouvernement du Canada par l'entremise d'Affaires mondiales Canada.


 

  1. Institut Haïtien de Statistique et d'Informatique (IHSI), mars 2015
  2. Population totale, 18 ans et plus, Ménages et densités estimés en 2015, IHSI, mars 2015
  3. CIAT, Cahiers du foncier, juillet 2017 page 16
  4. Rapport de la Banque mondiale, 2013
  5. Décret-loi du 11 janvier 1944 sur la femme mariée qui travaille, art 1er
  6. Banque mondiale, Doing Business 2017
  7. Lois encadrant la Réforme Foncière en cours dans la République d'Haïti
  8. Plan d'investissements agricoles, MARDR
  9. Les coutumes successorales en milieu rural haïtien, Hugues Foucault, Journal le Nouvelliste, 4 décembre 2006
  10. Ibid.
  11. L'indivision en Haïti : Droits, temps et arrangements sociaux, Michèle Oriol et Véronique Dorner, 30 juillet 2012
  12. Ibid.
  13. Article 1 de la Loi du 8 septembre 1948
  14. Enquête conditions vie et ménages, 2003
  15. (ONU-Habitat, 2007)
  16. Extrait du Discours du ministre Camille Edouard Junior, 16/12/6, CIAT
  17. Résultats EMMUS VI, 2017-2018
  18. Ibid.
  19. Entrevue avec agronome Louissaint, directeur de l'organisation Ore, Camp-Perrin, septembre 2018
  20. L'indivision en Haïti. Droits, temps et arrangements sociaux, Michèle Oriol et Véronique Dorner
  21. MARNDR, Recensement général agricole, 2010, FAO-UE
  22. Résultats EMMUS VI, 2017-2018
  23. Résultats de l'Enquête sur les conditions de vie en Haïti 2003
  24. L'indivision en Haïti. Droits, temps et arrangements sociaux, Michèle Oriol et Véronique Dorner
  25. Kawaleck, A.; Femmes et relations inégalitaires entres genres en Haïti, Port-au-Prince, 27 octobre 2003, BID/PDL
  26. Résultats EMMUS VI, 2017-2018
  27. Résultats EMMUS VI, 2017-2018
  28. Rapport EMMUS VI, 2017-2018
  29. Haïti Advocacy Working Group (HAWG)
  30. MPCE, Rapport de l'ouragan Matthew, 2016
  31. Extrait des objectifs décrits dans la politique d'égalité femme homme 2014-2034, Haïti
  32. Exploitations dont les propriétaires ne vivent ni ne travaillent en Haïti
  33. Article 4 du Décret de création de l'INARA, 4 mai 1995
  34. Politique d'aide internationale féministe du Canada, 2017
  35. Rapport sur l'équité de genre, Land Alliance, janvier 2017
  36. Rapport CIAT, social impact assessment
  37. Hugues Foucault, Les coutumes successorales en Haïti, Le Nouvelliste, 12 avril 2016
  38. Article 1 de la loi sur l'enregistrement et la conservation foncière
  39. L'indivision en Haïti. Droits, temps et arrangements sociaux, Michèle Oriol et Véronique Dorner
  40. Entrevue avec Clergé Abélard, directeur de crédit, CAPOSAC, 19 septembre 2018, Cam-Perrin
  41. Charles Castel, Gouverneur BRH, 30 juillet 2010, lettre circulaire no. 6
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