Mise en contexte

La loi électorale (2017) et le code des collectivités locales (2018) adoptées en Tunisie garantissent la présence des femmes dans les affaires municipales. Les partis politiques doivent présenter un nombre égal de candidats féminins et masculins aux élections municipales. Les municipalités sont tenues d’avoir un équilibre entre les sexes aux postes de maire et de maire adjoint. En outre, chaque municipalité doit créer deux nouveaux comités : la « Commission Femmes et famille » et le « Commission Égalité et égalité des chances ». Résultat : le pays a atteint une quasi-parité lors des élections municipales de 2018, avec 47 % des sièges des conseils détenus par des femmes, et une forte présence de femmes dans les commissions municipales.

Leur présence, cependant, ne se traduit pas directement par une influence. Les femmes sont confrontées à une certaine réalité, soit que de nombreux hommes n’acceptent pas leur participation aux instances décisionnelles. Elles ont été la cible de violences à l’intérieur et à l’extérieur de la municipalité, elles ont été écartées des commissions qui disposaient de budgets et d’une influence plus importants, et elles ont dû s’imposer et se battre pour revendiquer leur place. Le Programme de leadership municipal inclusif (PLMI) a aidé ces femmes à ne pas se contenter d’être présentes, mais à devenir des leaders.

La création d’un réseau

La première étape a consisté à mettre les femmes en relation afin qu’elles puissent se soutenir mutuellement. La Fédération Nationale des Communes Tunisiennes (FNCT) a mené une enquête auprès des femmes élues des 360 municipalités pour identifier leurs besoins et leurs intérêts. En mars 2020, la FNCT a organisé un événement pour créer officiellement le Réseau des femmes élues municipales (RFEM). Un comité directeur composé de 17 femmes a été élu. Chacune de ces femmes a été élue à la tête d’un comité thématique, tel que la communication, la formation et la violence politique à l’égard des femmes.

Seulement une semaine après la création du réseau, la pandémie de COVID-19 a été déclarée. Même si cela représentait un contretemps, cela n’a pas empêché les femmes d’activer le réseau. Le comité directeur a élaboré un projet de charte et un plan d’action. Les deux priorités du réseau étaient d’organiser des formations pour les femmes élues et de s’attaquer au problème croissant de la violence politique à l’encontre les femmes. Tout au long de la pandémie, le réseau a pris de l’ampleur car de plus en plus de femmes élues ont voulu s’y joindre.

En deux ans, le réseau est passé de 260 à plus de 1000 membres, représentant près des deux tiers de l’ensemble des femmes élues. Lorsque le moment est venu d’élire un nouveau comité directeur, ils ont adopté une approche régionale pour s’assurer que la structure du réseau reflète la diversité géographique du groupe. Le nouveau comité directeur a élu des représentantes de chaque région du pays, qui sont chargées de partager des informations avec les femmes de leur région et de défendre leurs besoins.

Isabelle Miron, conseillère municipale de la ville de Gatineau, au Québec, connaît le pouvoir d’un réseau de soutien. En plus d’être conseillère municipale, elle est impliquée dans divers réseaux qui rassemblent des femmes leaders pour partager, se mettre en relation ou agir.

« La solidarité des femmes est une force qui fait absolument toute la différence pour moi. C’est la clé pour traverser une carrière politique sans être complètement désabusée. »

Tout au long du PLMI, la conseillère Miron a partagé ses expériences avec ses homologues tunisiens et exposé les défis auxquels elle a été confrontée en tant que femme au conseil. Un précieux conseil qu’elle leur a donné est de s’entourer de personnes qui peuvent à la fois vous encourager et vous mettre au défi.

« J’encourage toujours les politiciennes à avoir le courage d’avoir autour d’elles des personnes qui ne seront pas toujours d’accord avec elles. Nos idées sont enrichies par des points de vue divergents. Il est tout aussi important de s’entourer de personnes de confiance que de personnes prêtes à donner un coup de main. Car à la base, faire de la politique, c’est avoir le pouvoir de mobiliser, et une leader sait s’entourer des bonnes personnes. »

Les outils de la réussite

La priorité du réseau était de fournir une formation aux élues, car pour la plupart d’entre elles, il s’agissait d’une première expérience en politique. Après avoir consulté les membres, le PLMI et la FNCT ont collaboré à l’élaboration d’un programme de formation comprenant quatre modules thématiques : Gestion inclusive des espaces publics, Techniques de communication et de plaidoyer, Budgétisation sensible au genre, et Genre et gestion urbaine. Une cinquième formation, sur la gestion inclusive des crises, a ensuite été ajoutée.

L’objectif du programme de formation était de donner aux femmes élues les outils dont elles avaient besoin pour diriger. Lors de chaque session, elles recevaient une formation théorique, discutaient des difficultés auxquelles elles étaient confrontées, puis déterminaient comment y remédier. Une première cohorte d’élues a été formée en présentiel une fois que les restrictions associées à la COVID-19 ont été levées. Pour chaque module, deux groupes de 25 femmes ont participé, touchant ainsi plus de 100 membres du réseau. Après l’élection du nouveau comité directeur, une deuxième cohorte de femmes a été formée, selon une approche de pair à pair. Ce sont les élues qui ont reçu une formation lors du premier tour qui ont formé les nouveaux membres.

Dans chaque module, les partenaires municipaux canadiens ont été invités à partager leurs expériences. Ils ont donné des exemples pratiques de leurs expériences canadiennes pour relier la théorie à la pratique. Leur participation a servi à la fois d’inspiration et de recommandations sur la manière de relever les défis.

Vicki-May Hamm, ancienne mairesse de Magog, au Québec, a participé à des formations destinées aux élues tunisiennes. En tant que première femme maire de Magog, elle avait beaucoup à partager sur le leadership et pouvait s’identifier à de nombreux défis auxquels les femmes tunisiennes étaient confrontées.

« Tout comme au Québec, beaucoup de femmes se sont demandé : ‘Est-ce que je vais être capable? Est-ce que je vais avoir les compétences nécessaires?’ Nous, les femmes, ressentons souvent le besoin d’être beaucoup plus formées et informées avant de nous lancer dans quelque chose. Nous aimons savoir de quoi nous parlons, et nous voulons comprendre. »

Au cours des formations, Mme Hamm a conseillé les élues sur la manière de se présenter, d’être confiantes, d’élaborer un plan d’action et de défendre leurs propositions et projets devant le conseil municipal. Elle a également offert des conseils pratiques sur la manière de prendre en compte les besoins des femmes, des enfants et d’autres groupes dans la planification.

« J’ai pu donner des exemples concrets et faire le lien avec la théorie. »

L’une des réussites qu’elle a partagée avec ses pairs tunisiens est l’adoption par sa municipalité d’une nouvelle politique de consultation publique. Historiquement, la municipalité de Magog ne consultait le public que lorsqu’elle y était obligée par la loi. Aussitôt élue au poste de mairesse, Mme Hamm a entamé une réflexion plus approfondie sur les avantages de la consultation, sur le moment où les consultations devaient avoir lieu et sur la manière dont elles devaient être menées, en fonction de l’objectif et des différents groupes cibles.

« Lorsque nous consultons, nous ne mobilisons généralement que les personnes qui sont directement concernées, qui ont peur de perdre quelque chose ou qui ont un intérêt particulier. Alors comment atteindre les personnes qui ne se manifestent pas normalement? Nous avons vraiment réfléchi, pour chaque type de consultation, à la meilleure voie à suivre et à la manière de procéder à l’avenir. »

Prendre les choses en main

Une présentatrice lors d’une session de formation en Tunisie.
Une présentatrice lors d’une session de formation en Tunisie.

Les femmes leaders qui ont participé à la formation ont gagné en confiance, en motivation et en influence. Elles sont plus actives dans leur communauté et dans les commissions. Elles mènent des consultations dans leur communauté et font des propositions de projets qui tiennent compte des besoins spécifiques des femmes et des enfants.

Les femmes des commissions « Femmes et famille » et « Égalité et égalité des chances » ont une plus grande influence. Alors que ces commissions disposent souvent d’un petit budget, les conseillères réussissent à obtenir des fonds pour leurs initiatives, que ce soit par le biais du budget municipal ou de sources extérieures. À Sidi Bourouis, commune partenaire du PLMI, par exemple, la mairesse adjointe a avancé l’idée d’un projet sexospécifique visant à créer un parc municipal inclusif dont les femmes, les enfants et les familles pourraient profiter ensemble. Elle a convaincu le conseil d’inclure le projet de parc dans le plan annuel d’investissement de la municipalité. La présidente de la commission « Égalité et égalité des chances » a poussé le projet encore plus loin en trouvant une association qui a accepté d’aider à accueillir des événements culturels, une bibliothèque et un club de musique dans le parc.

Le réseau a également obtenu des résultats importants dans la lutte contre la violence à l’égard des femmes élues. Elle a créé un comité sur le sujet pour recevoir et répondre aux cas de violence à l’encontre des élues. Il s’est avéré que c’est la présidente de ce comité qui a été la première à utiliser le mécanisme de signalement, ayant elle-même subi des violences au sein de sa propre municipalité. Elle était devenue la cible de harcèlement pour avoir voulu jouer un rôle actif dans les processus décisionnels. Elle a signalé l’affaire au réseau. Un communiqué a été élaboré et diffusé par la FNCT pour dénoncer la violence et trouver une solution. Elle a pu conserver son poste de conseillère municipale et a ensuite été réélue présidente du Comité de lutte contre la violence à l’égard des femmes.

Le Groupe Femmes, Politique et Démocratie (GFPD), une organisation à but non lucratif qui promeut la participation des femmes en politique au Québec, a été invité à participer au PLMI.

Gaëtane Corriveau, chargée de projet de GFPD, a dispensé une formation virtuelle intitulée Le pouvoir : jeux-enjeux-acteurs-trices-stratégies à la première cohorte d’élues tunisiennes. La session sur l’autonomisation a aidé les femmes à réfléchir aux relations de pouvoir, à la négociation, à l’identification des alliés et à la collaboration.

« C’est la même formation que celle que je donne ici. C’est un concept universel. Le message que j’ai voulu faire passer, c’est qu’on peut être en position de suggestibilité ou de subordination, mais qu’on peut toujours reprendre le contrôle de sa vie ou d’une situation. »

Mme Corriveau est retournée en Tunisie à la fin du programme et a pu constater les résultats du travail sur l’égalité des sexes et l’inclusion dans les municipalités tunisiennes partenaires. Elle a partagé ses propres expériences en aidant les municipalités du Québec à adopter des politiques d’égalité des sexes par le biais de projets appelés « Défi parité » et « Défi parité+ ». Elle a expliqué comment les municipalités peuvent envisager les sexes et l’inclusion selon les trois axes de la gouvernance, de la prestation de services et de la municipalité en tant qu’employeur. Gaëtane a vu comment les municipalités tunisiennes mettaient déjà en pratique des approches similaires par la mise en œuvre de projets sexospécifiques.

« Quand j’ai vu ce que les municipalités mettaient en place – les initiatives qu’elles menaient là-bas – ce sont essentiellement des politiques d’égalité, mais elles portent un autre nom. Lorsque nous nous sommes rendus à l’hôtel de ville de Tabarka, la mairesse nous a accueillis. A côté d’elle se trouvait le maire de La Nouvelle Tabarka. Nous avons tout de suite compris qu’il était son allié. Il était en faveur de l’égalité. »

Ouvrir la voie

Les femmes élues ont presque terminé leur premier mandat au sein du premier conseil élu démocratiquement. Elles ont dû faire face à de nombreux obstacles, mais ont réussi à se tailler une place et à faire leur marque. Elles se sont également fait des alliés qui continueront à promouvoir l’égalité des sexes. Après quatre ans de travail, l’équipe du PLMI voit que les hommes ont accepté que les femmes ont leur place dans la prise de décision.  

Les femmes élues peuvent être fières de nombreuses réalisations. Elles ont construit un réseau solide qui continuera à soutenir les femmes élues après les prochaines élections municipales en mai 2023. Bien qu’il existe une grande incertitude quant à l’avenir des femmes au sein des conseils municipaux en Tunisie, les femmes peuvent être fières de leurs réalisations historiques. Elles ont ouvert la voie à celles qui viendront après elles.

Maintenant que le projet est complété, Mme Hamm regarde en avant.

« Je suis très fière d’avoir été la première femme élue à la tête de ma municipalité. Nous sommes en train d’écrire l’histoire. J’ai dit aux femmes en Tunisie : ‘Vous êtes toutes en train de faire l’histoire’. Nous ouvrons la voie à toutes celles qui nous suivront. »

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